Nous publions le témoignage de M. enfermé à deux reprises en CRA.
TW: violence physique – violences policières
A. : Est-ce que tu veux nous raconter ton parcours et comment tu es arrivé au CRA ?
M. : Oui. En fait moi je suis né en Guinée. J’ai quitté mon pays à 14 ans avec mon oncle. Ma mère est tombée malade, elle est partie dans son village natal et du coup je partais plus à l’école. Je me débrouillais en faisant de la mécanique avec mon oncle, il faisait aussi du commerce. On partait dans les pays à coté, au Mali, au Sénégal, pour acheter des trucs. A la fin, j’étais tout gamin, il a décidé de nous faire sortir, moi je savais pas. Je l’ai suivi parce que c’était mon oncle. Il m’a dit, viens on va bouger. Je suis parti avec lui, il m’a dit on va aller acheter des affaires, des objets. Je l’ai suivi, on est passés par le Mali, après on est passés par le Niger et on est rentrés en Algérie. Mais avant tout ça sur le parcours, on a été condamné, on a vu les Touaregs comme on les appelle. Ils ont frappé mon oncle, ils l’ont torturé et il a payé. Même moi, ils m’ont un petit peu frappé vite fait. Mais comme, j’étais jeune ils m’ont laissé un petit peu. Il a payé les passeurs jusqu’à ce qu’on rentre au Maroc. Au Maroc, je lui demandais ce qu’il se passait, je savais pas où on allait. Il m’a dit qu’on allait aller en Europe pour que j’aie une vie stable, que je puisse aller à l’école, étudier et jouer au foot. J’ai dit, je sais pas, je veux retourner chez moi. Mais bon, on était dans un centre où ils font passer les gens, on était enfermés, on pouvait pas sortir de là-bas. Et moi je pouvais pas faire la route pour retourner chez moi, j’avais 14 ans. Du coup, je suis resté. Un jour, une voiture noire est arrivée, ils nous ont mis dans la voiture et ils nous ont envoyé vers la mer. On est sortis, je vois la mer, j’ai peur, je vois les vagues et tout. J’ai dit, je monterai pas dans le zodiac. Les passeurs de là-bas, ils ont sorti des kalachnikovs, ils m’ont dit soit tu montes , soit on te tue. Mon oncle il était déjà dans le bateau. Il a dit viens vite, les flics arrivent, sinon on va te faire je sais pas quoi. J’étais obligé de monter dans le bateau, dans le zodiac. On était plus de je sais pas combien j’ai oublié. Et je suis monté. On a fait 11h-12h sur la mer. La Croix Rouge et les secours espagnols nous ont récupéré.es. Il y a eu un hélicoptère car a un moment on s’est perdu.e.s. Ils ont appelé les secours en Espagne, en Allemagne, ils sont sortis nous chercher jusqu’à ce qu’ils nous retrouvent. Quand je suis arrivé en Espagne, ils m’ont tout de suite envoyé dans un centre pour mineur.e.s. Ils ont séparé les majeur.es d’un côté et les mineur.e.s de l’autre. Ils m’ont séparé de mon oncle, je l’ai pas revu. Ils m’ont envoyé à Bilbao. Quand j’étais à Bilbao, j’étais dans un centre pour mineur.e.s. Comme je parlais un peu français, j’ai décidé de venir en France. Avec le collègue avec qui j’étais dans le centre, on a pris la route, on est passés par Gérone , Bayonne. A Bayonne, on est restés dehors, il faisait froid. On a pris le train et on est arrivés à Paris. A Paris, je savais pas me repérer. J’ai dormi dehors et je savais rien de ce qu’il se passait. J’ai décidé de prendre le train pour être au chaud et j’ai atteri à Grenoble et de Grenoble je suis sorti à la gare et j’ai vu les flics qui m’ont expliqué un petit peu et ils m’ont montré le département pour les jeunes et je suis allé là bas et j’ai été reconnu en tant que mineur. Et y a un monsieur qui s’appelle… je vais pas dire, mais il s’est occupé vraiment de moi. J’ai passé le diplôme en langue française et j’ai eu le diplôme et du coup j’ai décidé de faire une formation en mécanique en aviation. J’ai pas trouvé d’école du coup ils m’ont affecté dans une école à Annecy en carrosserie. J’étais dans l’école, j’ai passé 2 ans en CAP, j’ai eu mon diplôme et quand j’ai fini j’ai pas trouvé de travail en carrosserie à Annecy. Du coup je suis allé à la Mission locale et là en gros ils se sont occupés de moi, ils m’ont trouvé un travail en tant que serveur. J’étais serveur là bas en CDI, j’ai travaillé pendant 4 mois, 5 mois je crois. D’un coup après à la sortie du travail, je rentrais chez moi, je me suis posé avec des collègues un petit peu et on a picolé et c’est parti en couilles, on s’est bagarrés. Les flics sont arrivés et tout de suite c’était… j’avais 19 ans, 20 ans… et tout de suite ils m’ont envoyé au tribunal. Comme j’avais un CDI ils ont pas pu me mettre en prison pour ça. Alors que c’était juste une petite bagarre, ils m’ont mis 8 mois de sursis. Là tout de suite après ça, j’ai fait juste un petit délit et ils m’ont condamné direct, ils m’ont mis en prison alors que j’avais un récepissé, demande de titre de séjour mais travailleur. J’avais un titre de séjour étudiant on va dire. Depuis 2022, ils entendaient pas parler de moi et du coup en 2024… moi je savais même pas que j’étais condamné à aller en prison… je vais à la préfecture et ils me disent que je suis en OQTF, comment ça OQTF? Ils me disent « ouais vous avez été condamné, on vous a enlevé les papiers, on peut pas renouveller donc OQTF ». Ils m’ont attrapé et ils m’ont mis en prison en 2024 là et je suis sorti parce qu’en fait j’ai ma famille en France, j’ai mes frères ici, je les ai retrouvés en France. J’ai 3 frères et une soeur. J’ai un grand frère lui, il a la nationalité française, y a l’autre il a un titre de séjour et y a l’autre aussi il a un titre de séjour. Et je suis sorti, ils m’ont assigné à résidence chez mon frère. Et là bas je me suis disputé avec mon grand frère et ils l’ont obligé à porter plainte et mon frère, il voulait pas porter plainte, la vie de moi, il était en mode c’est mon petit frère je vais pas porter plainte contre lui. Et de là bas, d’un coup je me suis retrouvé au CRA, alors que j’avais une assignation à résidence que je respectais, j’allais signer et tout et tout de suite ils ont annulé tout et mes papiers, j’ai essayé de renouveller, renouveller mais j’ai l’interdiction d’aller en administratif pour renouveller mes papiers. Et de là bas, ben je me suis retrouvé ici, au CRA. Et au CRA premier jour quand je suis rentré ils m’ont fait dormir dans une cellule en isolement, alors que moi je me suis dit, si je suis au CRA c’est pour être ramené chez moi ou être en sécurité. Ils m’ont mis à l’isolement, y avait pas le chauffage, y avait rien du tout, je suis resté dans le froid. Le lendemain ils m’ont envoyé dans une cellule sans télé, j’ai dit « comment, c’est quoi ce truc? ». En fait c’est pire que la prison, ils nous font manger des trucs pas possible qui sont périmés, les dates sont périmées. Moi j’ai fait l’école, je sais comment faire tous les trucs et tout. Et après ils m’ont changé de bloc ils m’ont envoyé dans un autre bloc. J’ai demandé ce qu’il se passe, je leur ai expliqué, ils ont rien compris, ils veulent rien savoir. Et là ils me font me réveiller le matin pour le petit-dej, mais le petit déj en fait quand ils arrivent ils ont pas le temps. Ils appellent « petit-dej ? » et en gros si tu bouges pas ils ferment. Même si tu fais grève de faim ou même si toi t’as envie de manger ils t’obligent à faire la grève de la faim. Et en gros moi j’appelle ça de la maltraitance. On a pas de droits. Y a des gens ici qui disent qu’ils nous aident mais c’est pas une aide pour nous. Après je suis passé au tribunal administratif et eux aussi ils ont confirmé les 26 jours, pour que je reste ici au CRA, pour me ramener chez moi. Et chez moi en ce moment ils peuvent pas me renvoyer parce que la Guinée donne pas de laisser-passer, parce que moi je suis Guinéen. Et normalement quand on est au CRA, c’est pour nous renvoyer chez nous. Ils m’ont privé de ma liberté pendant 90 jours, parce que pendant 90 jours j’étais assigné à résidence et la préfecture faisait son boulot pour me ramener mais ils ont pas pu. Et là ils me ramènent au CRA alors que j’ai une adresse, j’ai une attestation d’hébergement, j’ai les fiches de paie, j’ai mes fiches de paie à moi, j’ai toutes les affaires de mes parents et tout, je leur ai tout envoyé. Je suis passé en appel et cet appel aussi ils ont décidé de mettre 26 jours plus les 4 jours que j’ai fait avant de passer au tribunal, ça fait 30 jours en fait. Et là ça fait 9 jours que je suis là et je comprends pas ce qu’il se passe dans ma vie. Normalement je devrais passer au tribunal pour être libéré avec une assignation à résidence mais ils me disent quoi « monsieur on est désolés, on va renouveler ». Et voilà encore 3 mois, 90 jours.
A. : Quand tu dis y a des gens qui vous aident à l’intérieur du CRA, tu parles de forum réfugiés?
M. : Ouais je parle de forum réfugiés. Mais forum réfugiés aussi… je sais pas si c’est vraiment pour nous aider… si on leur demande ils peuvent pas nous expliquer comment on fait. Ils nous demandent des pièces. Ils m’ont demandé ma confirmation à la préfecture, j’ai envoyé ça, j’ai envoyé mon acte de naissance, j’ai envoyé tout ce qu’ils m’ont demandé en gros pour que je puisse prouver que j’ai eu un titre de séjour en France, que j’ai été arrêté. C’est juste que j’ai fait des trucs qui m’ont enlevé ma pièce d’identité alors qu’on va dire que j’ai risqué ma vie pour être ici, pour pouvoir vivre une meilleure vie, fonder une famille et rester dans la société, payer des impôts et tout. Et là j’ai pas de droits, ils m’ont couper mes droits. Normalement la mission locale jeunes ils me donnaient de l’argent, ils m’ont coupé tout ça. Et là j‘en sais rien, je suis enfermé, j’attends, j’attends. C’est pire que la prison en fait. Là ils m’ont coupé mes droits ils m’ont coupé tout, normalement la Mission Locale Jeunes ils me donnaient de l’argent ils ont coupé tout ça, et du coup j’en sais rien en fait bah je suis là j’attends j’attends j’attends en gros je suis enfermé et c’est pire que la prison en fait voilà moi je dis c’est pire que la prison parce que ils font péter des câbles aux gens, même si t’as mal à la tête tu peux pas aller à l’infirmerie, il faut attendre pendant je sais pas combien de temps pour qu’ils viennent te chercher et ils te disent c’est pas toi qui décide c’est nous qui décidons et je dis ouais monsieur c’est parce que vous avez l’autorité je sais que c’est vous qui décidez mais si j’ai mal j’ai envie de voir un médecin et j’ai le droit de voir un médecin j’ai le droit de voir ça mais en fait voilà et quand eux ils veulent tu le vois si ils veulent pas tu vas pas le voir et je demande à voir un psy [problème de son]. Parce qu’en fait j’suis là je te jure que en fait euh en fait on dirait je me sens un peu fou on va dire j’ai perdu l’espoir j’ai plus d’espoir j’ai mal à la tête je commence à parler tout seul et ils me matrixent vraiment et même quand on est dans la salle en train de manger alors que c’est fermé ils sont là ils nous regardent ils nous chab et tout et en fait ils nous mettent la pression tu vois même si on veut pas faire des conneries ils t’obligent à faire des conneries tu vois et après entre eux ils rigolent, ils rigolent sur nous voilà c’est ça.
A. : Ouais c’est ce que tu me disais la dernière fois qu’ils essayent de vous faire vriller pour faire des problèmes.
M. : Ouais
A. : Et euh on est pas obligés d’en parler mais si t’as envie enfin la dernière fois qu’on avait parlé au tel tu m’avais parlé des médicaments, est-ce que t’as envie d’en parler ou pas ? On est pas obligés hein.
M. : Ouais euh j’ai pas compris tu peux répéter.
A. : Ouais euh tu me parlais que la dernière fois tu m’avais dit que ils vous donnaient des médicaments genre des anxiolytiques et tout et que toi t’en prenais pas avant de venir au CRA mais que maintenant ils t’en donnent ?
[problème de son, question répétée]
M. : Ouais ouais ouais ouais voilà ouais voilà oui oui oui bien sûr bien sûr ils m’ont donné des médicaments et j’ai demandé c’est quoi ces médicaments et eux mêmes ils peuvent pas nous expliquer c’est quoi le médicament et quand tu leur demandes ils disent ah c’est pour que tu dormes ou pour que je sais pas quoi alors que moi ces médicaments ils nous obligent à les prendre, et moi ça me dégrade, ça me dégrade parce que moi de base, je prends pas de médicaments moi, dehors je fume pas de stups et tout moi j’ai rien à foutre de tout ça, tu vois je buvais que l’alcool vite fait et je fumais juste des cigarettes pendant les soirées, je buvais l’alcool et tout mais euh ils nous donnent des médicaments eux-mêmes, ils nous disent pas c’est quoi, ils disent juste prends et bah je me sens bizarre, j’ai perdu du poids, j’ai je sais pas j’ai des hallucinations, je me vois deux on dirait y a deux personnes dans ma tête qui me disent bah suicide toi, suicide toi ou fais ça fais ça et je sais pas en fait je sais pas ce qui m’arrive.
[problème de son, question répétée]
A : Tu disais que t’étais enfin, que vous étiez obligés de les prendre les médicaments ?
M. : Ah oui oui ils t’obligent ils t’obligent à les prendre ou ils te convainquent que ça va t’enlever du stress où je sais pas quoi, pour que tu les prennes tu vois comment? Voilà c’est ça. Alors que moi dans mon truc, moi j’ai pas de trucs de psy ou je sais pas quoi, moi j’ai pas ça. Ici ça me rappelle des moments quand j’étais tout petit. Parce qu’en gros quand je suis arrivé en France, j’avais 15 ans et demi. Du coup bah même chez moi, là où ils veulent m’envoyer, je reconnais plus parce que j’ai quitté quand j’étais jeune. J’ai plus de famille là bas, ma mère elle est morte et mon père, je sais plus où il est. Moi je connais même pas bien, je connais juste là où j’ai grandi un petit peu mais si je retourne vers là bas je vais aller où? Et mes affaires même, ils me laissent même pas avoir mes affaires, c’est vous que j’appelle pour avoir quelques trucs, pour que je puisse avoir quelques habits… Ici ils me donnent pas un truc chaud, rien du tout. Et j’ai des collègues qui me dépannent quelques trucs chauds…
A : Quand ils t’ont arrêté t’étais en t-shirt et depuis t’as pas eu de pull, c’est ça que tu disais?
M : Ouais ils m’ont arrêté en bas de chez moi, en bas de chez mon grand frère, là où j’étais assigné. J’étais en t-shirt, j’avais mon téléphone là bas, j’avais ma veste, j’avais toutes mes affaires et je voulais prendre et c’est juste à côté normalement j‘devais aller prendre mes habits, mes trucs. Et ils veulent me ramener chez moi et ça fait je sais pas combien d’années que j’habite ici en France et avec un complet de nuit que j’ai là bas pour dormir en gros… Pendant toutes ces années… Et comme ça renvoyé voilà… Et moi je vais me retrouver là-bas, je sais même pas où aller, je sais même pas quoi faire. Ils veulent niquer ma vie en fait, moi je le vois comme ça.
A : Est ce que ça te va si on arrête le témoignage ici juste pour qu’on arrête d’enregistrer mais on peut continuer à parler ?
M : Ouais on peut arrêter tout de suite l’enregistrement…
(Certains lieux ont été modifiés.)