Témoignage de M. enfermé à plusieurs reprises en CRA

Nous publions le témoignage de M. enfermé à deux reprises en CRA.
TW: violence physique – violences policières
A. : Est-ce que tu veux nous raconter ton parcours et comment tu es arrivé au CRA ?
M. : Oui. En fait moi je suis né en Guinée. J’ai quitté mon pays à 14 ans avec mon oncle. Ma mère est tombée malade, elle est partie dans son village natal et du coup je partais plus à l’école. Je me débrouillais en faisant de la mécanique avec mon oncle, il faisait aussi du commerce. On partait dans les pays à coté, au  Mali, au Sénégal, pour acheter des trucs. A la fin, j’étais tout gamin, il a décidé de nous faire sortir, moi je savais pas. Je l’ai suivi parce que c’était mon oncle. Il m’a dit, viens on va bouger. Je suis parti avec lui, il m’a dit on va aller acheter des affaires, des objets. Je l’ai suivi, on est passés par le Mali, après on est passés par le Niger et on est rentrés en Algérie. Mais avant tout ça sur le parcours, on a été condamné, on a vu les Touaregs comme on les appelle. Ils ont frappé mon oncle, ils l’ont torturé et il a payé. Même moi, ils m’ont un petit peu frappé vite fait. Mais comme, j’étais jeune ils m’ont laissé un petit peu. Il a payé les passeurs jusqu’à ce qu’on rentre au Maroc. Au Maroc, je lui demandais ce qu’il se passait, je savais pas où on allait. Il m’a dit qu’on allait aller en Europe pour que j’aie une vie stable, que je puisse aller à l’école, étudier et jouer au foot. J’ai dit, je sais pas, je veux retourner chez moi. Mais bon, on était dans un centre où ils font passer les gens, on était enfermés, on pouvait pas sortir de là-bas. Et moi je pouvais pas faire la route pour retourner chez moi, j’avais 14 ans. Du coup, je suis resté.  Un jour, une voiture noire est arrivée, ils nous ont mis dans la voiture et ils nous ont envoyé vers la mer. On est sortis, je vois la mer, j’ai peur, je vois les vagues et tout. J’ai dit, je monterai pas dans le zodiac. Les passeurs de là-bas, ils ont sorti des kalachnikovs, ils m’ont dit soit tu montes , soit on te tue. Mon oncle il était déjà dans le bateau. Il a dit viens vite, les flics arrivent, sinon on va te faire je sais pas quoi. J’étais obligé de monter dans le bateau, dans le zodiac. On était plus de je sais pas combien j’ai oublié. Et je suis monté. On a fait 11h-12h sur la mer. La Croix Rouge et les secours espagnols nous ont récupéré.es. Il y a eu un hélicoptère car a un moment on s’est perdu.e.s. Ils ont appelé les secours en Espagne, en Allemagne,  ils sont sortis nous chercher jusqu’à ce qu’ils nous retrouvent. Quand je suis arrivé en Espagne, ils m’ont tout de suite envoyé dans un centre pour mineur.e.s. Ils ont séparé les majeur.es d’un côté et les mineur.e.s de l’autre. Ils m’ont séparé de mon oncle, je l’ai pas revu. Ils m’ont envoyé à Bilbao. Quand j’étais à Bilbao, j’étais dans un centre pour mineur.e.s. Comme je parlais un peu français, j’ai décidé de venir en France. Avec le collègue avec qui j’étais dans le centre, on a pris la route, on est passés par Gérone , Bayonne. A Bayonne, on est restés dehors, il faisait froid. On a pris le train et on est arrivés à Paris. A Paris, je savais pas me repérer. J’ai dormi dehors et je savais rien de ce qu’il se passait. J’ai décidé de prendre le train pour être au chaud et j’ai atteri à Grenoble et de Grenoble je suis sorti à la gare et j’ai vu les flics qui m’ont expliqué un petit peu et ils m’ont montré le département pour les jeunes et je suis allé là bas et j’ai été reconnu en tant que mineur. Et y a un monsieur qui s’appelle… je vais pas dire, mais il s’est occupé vraiment de moi. J’ai passé le diplôme en langue française et j’ai eu le diplôme et du coup j’ai décidé de faire une formation en mécanique en aviation. J’ai pas trouvé d’école du coup ils m’ont affecté dans une école à Annecy en carrosserie. J’étais dans l’école, j’ai passé 2 ans en CAP, j’ai eu mon diplôme et quand j’ai fini j’ai pas trouvé de travail en carrosserie à Annecy. Du coup je suis allé à la Mission locale et là en gros ils se sont occupés de moi, ils m’ont trouvé un travail en tant que serveur. J’étais serveur là bas en CDI, j’ai travaillé pendant 4 mois, 5 mois je crois. D’un coup après à la sortie du travail, je rentrais chez moi, je me suis posé avec des collègues un petit peu et on a picolé et c’est parti en couilles, on s’est bagarrés. Les flics sont arrivés et tout de suite c’était… j’avais 19 ans, 20 ans… et tout de suite ils m’ont envoyé au tribunal. Comme j’avais un CDI ils ont pas pu me mettre en prison pour ça. Alors que c’était juste une petite bagarre, ils m’ont mis 8 mois de sursis. Là tout de suite après ça, j’ai fait juste un petit délit et ils m’ont condamné direct, ils m’ont mis en prison alors que j’avais un récepissé, demande de titre de séjour mais travailleur. J’avais un titre de séjour étudiant on va dire. Depuis 2022, ils entendaient pas parler de moi et du coup en 2024… moi je savais même pas que j’étais condamné à aller en prison… je vais à la préfecture et ils me disent que je suis en OQTF, comment ça OQTF? Ils me disent « ouais vous avez été condamné, on vous a enlevé les papiers, on peut pas renouveller donc OQTF ». Ils m’ont attrapé et ils m’ont mis en prison en 2024 là et je suis sorti parce qu’en fait j’ai ma famille en France, j’ai mes frères ici, je les ai retrouvés en France. J’ai 3 frères et une soeur. J’ai un grand frère lui, il a la nationalité française, y a l’autre il a un titre de séjour et y a l’autre aussi il a un titre de séjour. Et je suis sorti, ils m’ont assigné à résidence chez mon frère. Et là bas je me suis disputé avec mon grand frère et ils l’ont obligé à porter plainte et mon frère, il voulait pas porter plainte, la vie de moi, il était en mode c’est mon petit frère je vais pas porter plainte contre lui. Et de là bas, d’un coup je me suis retrouvé au CRA, alors que j’avais une assignation à résidence que je respectais, j’allais signer et tout et tout de suite ils ont annulé tout et mes papiers, j’ai essayé de renouveller, renouveller mais j’ai l’interdiction d’aller en administratif pour renouveller mes papiers. Et de là bas, ben je me suis retrouvé ici, au CRA. Et au CRA premier jour quand je suis rentré ils m’ont fait dormir dans une cellule en isolement, alors que moi je me suis dit, si je suis au CRA c’est pour être ramené chez moi ou être en sécurité. Ils m’ont mis à l’isolement, y avait pas le chauffage, y avait rien du tout, je suis resté dans le froid. Le lendemain ils m’ont envoyé dans une cellule sans télé, j’ai dit « comment, c’est quoi ce truc? ». En fait c’est pire que la prison, ils nous font manger des trucs pas possible qui sont périmés, les dates sont périmées. Moi j’ai fait l’école, je sais comment faire tous les trucs et tout. Et après ils m’ont changé de bloc ils m’ont envoyé dans un autre bloc. J’ai demandé ce qu’il se passe, je leur ai expliqué, ils ont rien compris, ils veulent rien savoir. Et là ils me font me réveiller le matin pour le petit-dej, mais le petit déj en fait quand ils arrivent ils ont pas le temps. Ils appellent « petit-dej ? » et en gros si tu bouges pas ils ferment. Même si tu fais grève de faim ou même si toi t’as envie de manger ils t’obligent à faire la grève de la faim. Et en gros moi j’appelle ça de la maltraitance. On a pas de droits. Y a des gens ici qui disent qu’ils nous aident mais c’est pas une aide pour nous. Après je suis passé au tribunal administratif et eux aussi ils ont confirmé les 26 jours, pour que je reste ici au CRA, pour me ramener chez moi. Et chez moi en ce moment ils peuvent pas me renvoyer parce que la Guinée donne pas de laisser-passer, parce que moi je suis Guinéen. Et normalement quand on est au CRA, c’est pour nous renvoyer chez nous. Ils m’ont privé de ma liberté pendant 90 jours, parce que pendant 90 jours j’étais assigné à résidence et la préfecture faisait son boulot pour me ramener mais ils ont pas pu. Et là ils me ramènent au CRA alors que j’ai une adresse, j’ai une attestation d’hébergement, j’ai les fiches de paie, j’ai mes fiches de paie à moi, j’ai toutes les affaires de mes parents et tout, je leur ai tout envoyé. Je suis passé en appel et cet appel aussi ils ont décidé de mettre 26 jours plus les 4 jours que j’ai fait avant de passer au tribunal, ça fait 30 jours en fait. Et là ça fait 9 jours que je suis là et je comprends pas ce qu’il se passe dans ma vie. Normalement je devrais passer au tribunal pour être libéré avec une assignation à résidence mais ils me disent quoi « monsieur on est désolés, on va renouveler ». Et voilà encore 3 mois, 90 jours. 
A. : Quand tu dis y a des gens qui vous aident à l’intérieur du CRA, tu parles de forum réfugiés? 
M. : Ouais je parle de forum réfugiés. Mais forum réfugiés aussi… je sais pas si c’est vraiment pour nous aider… si on leur demande ils peuvent pas nous expliquer comment on fait. Ils nous demandent des pièces. Ils m’ont demandé ma confirmation à la préfecture, j’ai envoyé ça, j’ai envoyé mon acte de naissance, j’ai envoyé tout ce qu’ils m’ont demandé en gros pour que je puisse prouver que j’ai eu un titre de séjour en France, que j’ai été arrêté. C’est juste que j’ai fait des trucs qui m’ont enlevé ma pièce d’identité alors qu’on va dire que j’ai risqué ma vie pour être ici, pour pouvoir vivre une meilleure vie, fonder une famille et rester dans la société, payer des impôts et tout. Et là j’ai pas de droits, ils m’ont couper mes droits. Normalement la mission locale jeunes ils me donnaient de l’argent, ils m’ont coupé tout ça. Et là j‘en sais rien, je suis enfermé, j’attends, j’attends. C’est pire que la prison en fait. Là ils m’ont coupé mes droits ils m’ont coupé tout, normalement la Mission Locale Jeunes ils me donnaient de l’argent ils ont coupé tout ça, et du coup j’en sais rien en fait bah je suis là j’attends j’attends j’attends en gros je suis enfermé et c’est pire que la prison en fait voilà moi je dis c’est pire que la prison parce que ils font péter des câbles aux gens, même si t’as mal à la tête tu peux pas aller à l’infirmerie, il faut attendre pendant je sais pas combien de temps pour qu’ils viennent te chercher et ils te disent c’est pas toi qui décide c’est nous qui décidons et je dis ouais monsieur c’est parce que vous avez l’autorité je sais que c’est vous qui décidez mais si j’ai mal j’ai envie de voir un médecin et j’ai le droit de voir un médecin j’ai le droit de voir ça mais en fait voilà et quand eux ils veulent tu le vois si ils veulent pas tu vas pas le voir et je demande à voir un psy [problème de son]. Parce qu’en fait j’suis là je te jure que en fait euh en fait on dirait je me sens un peu fou on va dire j’ai perdu l’espoir j’ai plus d’espoir j’ai mal à la tête je commence à parler tout seul et ils me matrixent vraiment et même quand on est dans la salle en train de manger alors que c’est fermé ils sont là ils nous regardent ils nous chab et tout et en fait ils nous mettent la pression tu vois même si on veut pas faire des conneries ils t’obligent à faire des conneries tu vois et après entre eux ils rigolent, ils rigolent sur nous voilà c’est ça.
A. : Ouais c’est ce que tu me disais la dernière fois qu’ils essayent de vous faire vriller pour faire des problèmes.
M. : Ouais 
A. : Et euh on est pas obligés d’en parler mais si t’as envie enfin la dernière fois qu’on avait parlé au tel tu m’avais parlé des médicaments, est-ce que t’as envie d’en parler ou pas ? On est pas obligés hein.
M. : Ouais euh j’ai pas compris tu peux répéter.
A. : Ouais euh tu me parlais que la dernière fois tu m’avais dit que ils vous donnaient des médicaments genre des anxiolytiques et tout et que toi t’en prenais pas avant de venir au CRA mais que maintenant ils t’en donnent ?
[problème de son, question répétée]
M. : Ouais ouais ouais ouais voilà ouais voilà oui oui oui bien sûr bien sûr ils m’ont donné des médicaments et j’ai demandé c’est quoi ces médicaments et eux mêmes ils peuvent pas nous expliquer c’est quoi le médicament et quand tu leur demandes ils disent ah c’est pour que tu dormes ou pour que je sais pas quoi alors que moi ces médicaments ils nous obligent à les prendre, et moi ça me dégrade, ça me dégrade parce que moi de base, je prends pas de médicaments moi, dehors je fume pas de stups et tout moi j’ai rien à foutre de tout ça, tu vois je buvais que l’alcool vite fait et je fumais juste des cigarettes pendant les soirées, je buvais l’alcool et tout mais euh ils nous donnent des médicaments eux-mêmes, ils nous disent pas c’est quoi, ils disent juste prends et bah je me sens bizarre, j’ai perdu du poids, j’ai je sais pas j’ai des hallucinations, je me vois deux on dirait y a deux personnes dans ma tête qui me disent bah suicide toi, suicide toi ou fais ça fais ça et je sais pas en fait je sais pas ce qui m’arrive.
[problème de son, question répétée]
A : Tu disais que t’étais enfin, que vous étiez obligés de les prendre les médicaments ? 
M. : Ah oui oui ils t’obligent ils t’obligent à les prendre ou ils te convainquent que ça va t’enlever du stress où je sais pas quoi, pour que tu les prennes tu vois comment? Voilà c’est ça. Alors que moi dans mon truc, moi j’ai pas de trucs de psy ou je sais pas quoi, moi j’ai pas ça. Ici ça me rappelle des moments quand j’étais tout petit. Parce qu’en gros quand je suis arrivé en France, j’avais 15 ans et demi. Du coup bah même chez moi, là où ils veulent m’envoyer, je reconnais plus parce que j’ai quitté quand j’étais jeune. J’ai plus de famille là bas, ma mère elle est morte et mon père, je sais plus où il est. Moi je connais même pas bien, je connais juste là où j’ai grandi un petit peu mais si je retourne vers là bas je vais aller où? Et mes affaires même, ils me laissent même pas avoir mes affaires, c’est vous que j’appelle pour avoir quelques trucs, pour que je puisse avoir quelques habits… Ici ils me donnent pas un truc chaud, rien du tout. Et j’ai des collègues qui me dépannent quelques trucs chauds
A : Quand ils t’ont arrêté t’étais en t-shirt et depuis t’as pas eu de pull, c’est ça que tu disais? 
M : Ouais ils m’ont arrêté en bas de chez moi, en bas de chez mon grand frère, là où j’étais assigné. J’étais en t-shirt, j’avais mon téléphone là bas, j’avais ma veste, j’avais toutes mes affaires et je voulais prendre et c’est juste à côté normalement j‘devais aller prendre mes habits, mes trucs. Et ils veulent me ramener chez moi et ça fait je sais pas combien d’années que j’habite ici en France et avec un complet de nuit que j’ai là bas pour dormir en gros… Pendant toutes ces années… Et comme ça renvoyé voilà… Et moi je vais me retrouver là-bas, je sais même pas où aller, je sais même pas quoi faire. Ils veulent niquer ma vie en fait, moi je le vois comme ça.
A : Est ce que ça te va si on arrête le témoignage ici juste pour qu’on arrête d’enregistrer mais on peut continuer à parler ?
M : Ouais on peut arrêter tout de suite l’enregistrement…
(Certains lieux ont été modifiés.)

Témoignage de Y.

Nous diffusons ce témoignage de Y. détenu en CRA qui a été déporté depuis.

Ce témoignage a été fait en novembre en Russe et il s’agit d’une traduction. Malheureusement, nous avons perdu quelques passages entre la mauvaise qualité de l’appel et certains moments que nous n’avons pas su traduire.

Le début de la discussion manque.
Y : Ils m’ont mis avec d’autres gens qui m’ont attaqué, qui me forcent à acheter de la cocaïne. Ici, ils vendent partout de la cocaïne de la marijuana. J’ ai écrit une plainte, ils l’ont pris et n’ont rien fait de plus.
Je ne vois personne, ne rencontre personne, personne ne me parle. Il y en a un qui est venu me voir.
Je lui demande: tu peux écrire ça au directeur? il dit non. Tu peux écrire aux droits humains? Non.
Sans tramadol je peux pas, ça fait 7 jours que j’ai pas mangé parce que je peux pas aller aux toilettes parce que la douleur me rend fou. J’ai dit, demandez à mon médecin.
Ils sont venus hier et ils ont pris ma tension, ça ne va pas mais ils ont dit qu’ils ne peuvent rien faire de plus. Ils attendent que je meure. Parce que je suis un mauvais témoin: je leur dis qu’ils vendent de la drogue partout ici et ils font rien de plus. Ils cachent tout. Mon médecin leur a écrit que je suis malade et ils cachent tout.
Le médecin a écrit que je suis malade, que j’ai besoin de médicaments. J’ai tellement mal.
Je suis juste un cadavre. Ici, je suis un cadavre qui marche, c’est tout.
L : Je suis vraiment désolée pour vous, je vous soutiens… Est-ce que les médecins vous ont donné d’autre médicaments ? Ils disent qu’ils vous ont donné un générique, c’est-à-dire le même médicament mais d’une autre marque. Est-ce que c’est ça ?
Y : Je suis invalide, avant, je prenais du tramadol et ça m’aidait. J’ai des douleurs à la tête, du bruit dans l’oreille. Si on me frappe à le tête je ne le sens pas parce que la douleur est déjà tellement grande. Ils m’ont dit de boire ça j’ai dit d’accord je vais boire ce qu’ils proposent. Mais en fait la seule chose que ça me fait c’est que j’ai envie de dormir, c’est juste un somnifère ce qu’ils me donnent. Mais je peux quand même pas dormir tellement j’ai mal. Je bois ce médicaments qu’ils me donnent, mais ça fait rien. Je leur dis j’ai le nez qui saigne et, eux, tout ce qu’ils font c’est mesurer ma tension puis ils s’en vont. Ils se moquent de moi !
Je leur ai dit, écrivez à mon médecin il vous dira c’est le seul médicament qui m’aide au moins un peu. Je leur ai écrit une plainte : donnez moi le seul médicament qui m’aide ou relâchez moi. Je leur ai écrit qu’on m’a empêché de dormir toute la nuit et on a essayé de me forcer à acheter de la cocaïne. J’ai signé la feuille qui dit que je vais collaborer. Ils me donnent pas de tramadol ils veulent que j’achète de la cocaïne. Ils attendent que je meure.
J’ai une vidéo où on me menace de mort j’ai demandé à un procureur de venir voir cette vidéo et rien ils font rien. Je veux parler à un procureur, à une personne qui me poserait des questions. Je veux répondre, il y a une personne qui voulait me tuer et ici tout se vend.

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Témoignage de Mehdi au CRA 1 (25/09)

M. : Du coup peut être si y a un laisser-passer et que ma situation est publié ça me ferait plaisir. Que la personne qui va le lire va se dire « c’est un gars volontaire », tu vois ce que je veux dire ?

On a lancé l’enregistrement, du coup si tu veux un peu raconter ce qu’il se passe dans le CRA et ce que t’as envie de dire quoi, on t’écoute.

M. : Alors je vais commencer d’abord par ma situation… car ma situation… Si vous voulez je vais vous expliquer. Moi je suis issu de parents intelligents, c’est à dire d’une mère prof de philosophie dans une université en Algérie et d’un père qui est médecin. C’est à dire qu’ils m’ont bien éduqué et qui m’ont mis dans le droit chemin bien avant que je devienne mature si tu vois ce que je veux dire. Ensuite mon père est venu dans le but de développer ses compétences de diplome de médecin, c’est à dire d’avoir un équivalent du diplome de médecin français car il avait le diplome de médecin algérien. Mais sauf qu’il travaillait ici en tant que médecin interne car malheureusement il fallait passer ses concours pour pouvoir avoir le numéro avec lequel il peut exécuter dans les hopitaux normaux malheureusement. Je crois que c’est ce mois-ci d’ailleurs qu’il va avoir les résultats d’après ce qu’il m’a dit. Et moi ensuite je me suis inspiré de mon père, déjà depuis tout petit je m’inspire de lui, je le vois il est avec sa petite blouse et moi c’est quelque chose que j’aime bien. D’ailleurs je me suis inspiré de lui et je me suis orienté vers cette formation de services à la personne, parce qu’apparement en France il manque du personnel… Et quand j’entends à la télé, qu’il manque du personnel dans un hôpital ou dans un service, qu’ils vont fermer tout le service totalement, ils vont affecter le médecin aux urgences. D’apres ce que j’ai vu hein … C’est un exemple d’un député qui l’a cité sur CNews, si vous voulez la source, je l’ai entendu sur CNews. Apparement quand il manque un médecin dans un hôpital, c’est à dire dans un service, ils vont être obligés de fermer tout le service, d’affecter un médecin aux urgences, c’est à dire qu’il va y avoir des lits vides et le médecin il va se retrouver aux urgences tout seul, à accueillir tout le monde et il manque du personnel. Il y aura un médecin urgentiste pour… ça dépend si c’est une métropole, pour plus de 300 000 habitants. Ca dépend l’endroit. J’ai entendu ça tout à l’heure. Et c’est un métier en tension et moi malheureusement, certes j’ai fait des conneries et j’ai payé pour ces conneries là, et si je les ai faites c’était tout simplement j’étais dans la nécessité. Et pour mes papiers, j’avais carrément préparé un dossier pour que je puisse parler et répondre à Monsieur le préfet en train de m’attaquer, mais il avait pas de quoi m’attaquer car j’avais tous les éléments. Y avait que sur mon incarcération qu’il pouvait m’attaquer. 

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Harcèlement policier au CRA de Lyon : témoignage de A., prisonnier dans un des CRA de Lyon-Saint-Exupéry

– Si tu veux, tu peux commencer par me raconter comment ça se passe en ce moment au CRA ? 

En ce moment, il y a que des provocations, ça provoque, même si t’as rien fait. C’est pour te mettre en isolement, pour te faire des problèmes, pour donner un nouveau regard vers toi. Les gens ne te regardent plus pareil, ils te voient, ils ne te respectent pas. Si t’es pas poli, ils cherchent la petite bête pour te faire galérer ici. Tu fais un truc de travers avec quelqu’un, tu l’énerves, tu l’insultes, tu fais un truc de travers bah ça va te niquer ta rétention. Pendant que t’es là, tu seras pas à l’aise.

– L’isolement c’est 24h, c’est ça ?

Des fois, quand tu fais un truc un peu grave, comme une dégradation d’établissement, tu casses un truc, ils te mettent 24h. Si tu devais sortir l’après-midi, bah ils vont te faire une prolongation de 24h encore, ça fait 48h, ils ont pas le droit de faire ça.

– Quand tu parles de dégradations, c’est quoi ?

Tu casses une porte… la dernière fois moi j’ai arraché un détecteur de fumée, j’ai fini pendant 48h en isolement. À part ça, je me suis fait tabasser, ils m’ont écrasé la tête avec leurs pieds, avec les mains, ils m’ont écrasés les mains avec les pieds, ils m’ont bloqué.

– C’était pendant l’isolement qu’ils ont fait ça ?

Oui, parce qu’il n’y a pas de caméras et c’est les caméras portables, ils les allument quand ils veulent et les éteignent quand ils veulent. Du coup, ils rentrent dedans. Une fois, tu fais une faute, tu réagis une fois, tu tapes la porte, même une fois, ils vont venir, ils reviennent avec des grosses ceintures, ils vont t’attacher avec, t’attacher les pieds, le bassin et les mains. Tu peux plus bouger pendant 3 h.

– Quand tu disais qu’ils essayent de te provoquer pour te mettre en isolement. Tu as des exemples de ce qu’ils peuvent faire pour vous faire réagir ?

Il y a des coins où il n’y a pas de caméras, les gendarmes passent et ils profitent. Par exemple, la dernière fois, l’autre, il me dit « P’tit chien », l’autre, il me dit « Je vais coucher avec ta copine quand elle vient, et je vais prendre son numéro au parloir ». Ça provoque. « Nique ta mère », des insultes, des trucs qui te font péter un câble et tu deviens incontrôlable. À la fin, tu vas l’insulter, tu vas ouvrir ta bouche, il va t’envoyer en isolement, après il va voir le plus gradé ici et il va lui dire « Ouais, celui-là, il m’a fait ça, ça et ça ». Et même quand il raconte ce qu’il s’est passé au plus gradé, au commandant, au colonel, tu vas lui raconter ce qu’il s’est passé et il va te dire « Ah non mes gendarmes font pas ça ! ». Tes gendarmes, excuse moi monsieur, mais la dernière fois, ils m’ont attaché là où ils n’ont pas le droit d’utiliser leurs caméras. Ils m’ont attachés après que j’ai fais le fou pendant 40mn, ils ont galéré à m’attacher. Une fois, j’étais attaché, ils commencent à me mettre des tartes, ils m’ont fait péter un plomb. À la fin, ils viennent, ils se mettent à 10 derrière moi, et il y en a un qui a fait une photo. C’est du foutage de gueule en fait. Quand c’est pas le ramadan, il y a les 3 repas par jour, mais ils te ramènent les repas congelés, le pain tu peux pas le couper, ils les mettent au frigo, ils te donnent pas un repas chaud. Des chips, j’sais pas quoi, des petits trucs, pour pas que tu fasses un malaise.

– La dernière fois, tu m’avais raconté qu’ils mettent des trucs pour vous shooter dans la nourriture ?

Oui. Dans les barquettes, tu vois qu’il y a un trou, il y a des gouttes sur les côtés. Quand je fais le ramadan, je mange pas, là je me sens en forme plus que quand je mange le soir. Je ramène les sacs à manger, je mange, et je sais pas comment expliquer, j’arrive pas à trop marcher à trop bouger, t’as la flemme de faire tout, tu te sens shooté, tout le temps, tu bugues, tu colles sur des trucs pour rien en fait. Pour les médicaments, tu demandes un traitement pour n’importe quel truc, ça te donne une bonne dose, même quand tu prends ces médicaments ça shoote. Tu vas voir l’infirmière pour un traitement d’angoisse ou de stress, tu te retrouves shooté.

– Ça se passe comment quand tu demandes de voir des infirmières ?

Des fois, avec de la chance, la première fois, tu demandes, ça peut être dans un jour. Mais c’est un coup, ils t’appellent pas. J’ai fait la demande il y a 3 jours, mais j’ai pas vu l’infirmière.

– Sans explications ? Ils te disent pas quand tu pourras la voir ?

J’ai demandé à voir un médecin, je suis resté une semaine avec les douleurs. C’est des trucs de ouf en fait.

– Et comment ça se passe quand tu vois une infirmière? comment ils traitent?

Bah en fait ils rigolent, ils parlent gentiment devant toi mais même eux ils sont contre nous. On sait pas ce qu’il se passe. Ils te donnent un truc, même si t’es pas content et que tu retournes la voir pour lui dire « ouais ça sert à rien ça, faut changer, faut faire un truc », ils s’en foutent. Pareil, ils font ce qu’ils veulent. [inaudible]. Dans la zone, ici, c’est la dèche… on va dire que c’est la jungle ici. Des portes cassées… les toilettes elles ont pas de porte, tu mets un drap… les chauffages y en a qui marchent pas. Y a un téléphone dans la zone, il est fait pour contacter des avocats, Forum et… pour faire pleins de trucs… pareil il marche pas. Le téléphone.. bah.. comment je vous explique…  y a un téléphone accroché au milieu de la zone, c’est pour tout le monde. Il marche pas. Ils ont pas le droit de laisser les téléphones comme ça. Des fois.. ils font le nettoyage, ils viennent, ils font le nettoyage et ils laissent même pas des sacs-poubelle pour mettre à l’extérieur… y a pas de sac-poubelle des fois. C’est rare qu’ils mettent des sacs-poubelle… du coup tu sors tu marches dans le couloir et tu trouves des sacs-poubelle à côté des chambres… Ici, c’est invivable en fait.

– Et… est-ce que avec le Ramadan ça pose des complications niveau repas et tout? 

Bah la plupart ici c’est des musulmans. Ca veut dire quoi? Ca veut dire ils mangent pas la viande si elle est pas halal. Déjà ils nous ramènent la viande pas halal. Normalement c’est automatiquement pour les gens qui font pas le Ramadan. Tu le ramènes direct, tu mets pas dans notre sac… pour les gens qui font Ramadan, pour les musulmans par exemple. Mais eux ils s’en foutent et ils cherchent pas à savoir c’est qui qui le fait ou c’est qui qui le fait pas. Et les trucs cuits à la vapeur, y a des bonnes doses de médicaments dedans pour shooter. Des fois tu ramènes 6/7 barquettes, on va dire ah bah [inaudible]. Dessert, entrée et plat principal. C’est un coup tu vas manger juste le dessert. L’entrée et le plat à la poubelle. Des fois les 3, tu peux pas les manger, inmangeables. 

– Inmangeables parce qu’y a des trucs pour vous shooter? 

Non, à part ça, c’est degueu. C’est de la bouffe cuite à la vapeur. Y a pas d’épices dedans, pas de sel. Y a rien du tout. Du coup c’est dégueu et y a des repas ça passe pas. 

– Et du coup vous mangez surtout les trucs qu’on vous ramène?

Oui, on vit avec des madeleines, du Coca, des petits trucs… pour qu’on meure pas. C’est tout. Et c’est comme ça.

– ils t’ont déjà envoyé combien de fois en isolement depuis que t’es là? 

Bah là ça va faire 2 mois que je suis là et je suis allé 9 fois en isolement. Et la plupart du temps je vais en isolement le jour de mes visites, le jour où y a quelqu’un qui va me poser un truc… 

– Ah ouais… et est-ce que t’as l’impression que ça s’empire au fur et à mesure des isolements? Est-ce qu’ils deviennent plus durs envers toi comme ils te connaissent? 

Exactement. Même la dame de Forum elle comprend pas ce qu’il se passe. Comme par hasard le jour de la visite… C’est fait exprès. 

– Et ils t’ont même emmené en hôpital psychiatrique tu m’avais dit? 

Non, j’avais pas dit qu’ils m’avaient emmené en HP. 

– Ah ok, ils avaient utilisé des sangles c’est ça? 

Ouais mais ils m’ont dit si tu continues comme ça tu vas finir en psychiatrie. Alors que je suis normal comme tout le monde… 

– Et c’est toujours les mêmes qui te provoquent ?  

Chaque 30 jours, chaque 45 jours ça change. Ils changent de groupe. 

– Et quel genre d’autres menaces ils te font ? Là ils disaient qu’ils pouvaient t’amener en HP, est-ce qu’il y a d’autres trucs qui te menacent pour te faire peur? 

« Tu vas retourner en prison si tu continues », alors que je fais rien de grave. « Tu vas finir en prison comme t’es venu, et après tu vas retourner ici ». La plupart des gens quand ils sortent de prison, on les ramène ici. 

– Est-ce qu’y a autres choses dont t’as envie de nous parler? De ce qu’il se passe dans le CRA en ce moment ou dans les deux derniers mois? 

Y a encore des trucs mais désolé je peux pas vous le dire, je préfère le garder pour moi. 

– Ok, ouais, pas de souci. 

Du coup ça sera tout.

– Ok ça marche, merci beaucoup.

 

témoignage du 9 avril 2024.

« Ils jouent avec la vie des gens, c’est pas normal » : la machine à expulser isole et tue

TW : suicide, violences

Au moins deux personnes retenues au CRA 1 de Lyon se sont données la mort fin 2023. 

Nous avons été mis.es au courant de ces deux suicides par notre ami H. qui vient d’être expulsé après avoir été enfermé au CRA pendant 3 mois. 

Après son transfert au CRA de Lyon mi-novembre, H a été témoin de l’évacuation du corps d’un détenu qui s’était donné la mort dans le bloc orange (le CRA est divisé en plusieurs zones de détention, appelées « blocs ») . La personne avait avalé des lames de rasoir après s’être vue annoncer un vol pour le lendemain. Elle avait déjà refusé un premier vol auparavant. 

H. nous a aussi parlé d’un autre suicide qui a eu lieu peu avant son arrivée et que les autres prisonnierxs du CRA1 lui ont rapporté : cette fois-ci dans le bloc rouge, une personne s’est pendue dans sa cellule et a été retrouvée par ses co-détenus au réveil. 

Ces morts ont été passées sous silence par l’administration du CRA et par Forum Réfugiés – l’association qui intervient au sein du CRA, censée garantir l’accès aux droits des personnes à l’intérieur.

H. nous dit : « Ca donne la haine. Ils jouent avec la vie des gens, c’est pas normal ». 

Notre ami a la haine, nous aussi on a la haine face à ces morts qui sont loin d’être des faits isolés. Elles sont le point culminant des violences systématiques et systémiques subies par les personnes retenues dans les CRA. Chaque année, de nombreuses tentatives de suicide ont lieu dans les centres de rétention et dans toutes les prisons, sans compter les morts causées par les violences des flics, ou par manque de soins.

(voir le cas de M., tué par les flics au CRA de Vincennes en mai 2023 *1 ). 

Au CRA1 cela fait plusieurs mois que nous n’avons presque plus de contact avec l’intérieur car les cabines téléphoniques sont hors-service depuis le printemps dernier. Nous avons contacté plusieurs fois l’administration du CRA et les salarié.es de Forum Réfugiés, qui nous ont confirmé qu’il n’y avait plus de cabines en fonctionnement au centre et qu’elles ne seraient pas remises en service, soi-disant pour des motifs économiques; or, les cabines téléphoniques ne sont qu’une goutte dans le gouffre économique que sont les CRA *2. Ainsi, même le supposé droit à la communication des personnes à l’intérieur n’est pas respecté.

Cela constitue une entrave aux « droits fondamentaux«  des personnes incarcérées, qui doivent pouvoir contacter leurs proches à l’extérieur.

Aux CRA de Lyon, les détenu.es n’ont pas accès à leur téléphone personnel, et n’ont pas non plus droit à des téléphones avec caméra. Cela rend difficile (voire impossible) la diffusion de toute forme d’information sur ce qui se passe à l’intérieur du CRA, dont les images sont rares, sauf à risquer la répression des flics comme l’a fait Anis en prenant des photos en cachette *3 ou à arriver par surprise avec une équipe médiatique lorsqu’on est député.e ou sénateur.ice, malgré la résistance des flics *4.

Pourtant, les récents événements nous prouvent encore une fois que la possibilité de communiquer avec l’extérieur est primordiale et nécessaire pour que les violences subies au CRA ne soient pas tues.

Si ces informations ne nous parviennent que trois mois après les faits, c’est bien le résultat d’une volonté institutionnelle de taire la violence du système carcéral et d’empêcher toute résistance. Que ce soit en divisant les prisonnierxs entre elleux par « bloc », en les isolant de l’extérieur en construisant les CRA dans les zones aéroportuaires loin des centres villes, ou en s’attaquant à leurs moyens de communication avec l’extérieur (comme ici, au CRA 1 de Lyon), la machine à expulser met tout en oeuvre pour empêcher la vérité de sortir.

Le CRA est un lieu fermé qui invisibilise les violences : sans H. nous n’aurions jamais appris la mort de ces deux prisonnierxs anonymes. Cela nous pousse forcément à nous poser avec inquiétude la question du nombre réel de morts chaque année au sein des CRA.

Nous avons appelé Forum Réfugiés qui a commencé par nier toute tentative de suicide ou mort survenue au CRA. Nous avons insisté et iels ont fini par évoquer très rapidement une personne qui s’était donné la mort en novembre 2023. Iels nient catégoriquement qu’une deuxième personne se soit suicidée au CRA en 2023. 

Pourtant, H. est formel : il y a bien eu au moins deux suicides au CRA 1 dans les derniers mois de 2023. 

Les CRA, pourtant centraux dans la loi Darmanin et indispensables à sa mise en pratique, ne sont presque jamais évoqués et restent aujourd’hui très peu connus. Des ouvertures de nouveaux centres ainsi que l’augmentation du nombre de places sont prévues dans les prochains mois et les prochaines années, ce qui est particulièrement alarmant au vu de ce qu’on constate dans les CRA déjà existants. Il est urgent de mettre fin à cette entreprise raciste et meurtrière, et de fermer tous les centres de rétention

Nous pensons à ces deux personnes assassinées par la machine à enfermer et à expulser, et à toutes les autres victimes, ainsi qu’à leurs familles, leurs proches, leurs ami.es.

A bas les CRA !

Le collectif Lyon Anticra

1: https://abaslescra.noblogs.org/vengeance-pour-m-tue-par-les-flics-au-cra-de-vincennes-chronologie-dune-mobilisation-et-de-sa-repression/#more-3691

2 : voir ici l’analyse économique de la rétention par un salarié de la Cimade https://www.lacimade.org/publication/une-analyse-economique-de-la-retention-administrative-jean-saglio/

3 : voir témoignage Anis https://crametoncralyon.noblogs.org/temoignage-de-anis-prisonnier-au-cra-2-de-lyon-saint-exupery/

4: https://www.mediapart.fr/journal/france/081123/retention-des-sans-papiers-derriere-les-barbeles-du-cra-du-futur

Pour plus d’infos : 

Témoignage de Anis, prisonnier au CRA 2 de Lyon-Saint-Exupéry


Anis est au CRA 2 de Lyon-Saint-Exupéry depuis fin octobre 2023. Il vit en France depuis 42 ans. Ce texte est la transcription d’un témoignage audio du 15 décembre 2023. Anis y parle notamment des conditions de vie dans le CRA, des violences policières, de la complicité des médecins et de Forum Réfugiés, de l’insalubrité des bâtiments et du non-respect du droit des détenu·es à communiquer via les cabines téléphoniques, ainsi que des nombreuses démarches qu’il a entreprises auprès de la justice et du Contrôleur général des lieux de privation de liberté pour faire respecter ses droits. Force à lui.

– Est-ce que tu veux raconter la situation dans le CRA en ce moment ? Comment ça se passe pour toi et pour les autres ?

– Oui je peux raconter la situation au CRA. Sachant que j’étais déjà là pendant 2 mois cet été, à Lyon. Il me semble que c’était le 18 août, dans le bloc 41 où j’étais, les personnes ont mis le feu. Après j’ai été transféré à Nîmes. Moi je suis arrivé le 18 au soir [à Nîmes], et le 20 il y a eu le feu aussi là-bas, suite à une panne d’électricité. Après, vu que j’étais déjà cet été ici [au CRA de Lyon], il m’était arrivé un problème avec un policier. Il est monté un peu dans les tours donc j’avais porté plainte contre lui. J’avais aussi porté plainte contre un docteur de l’ordre des médecins.

– Ca c’était en août, à Lyon ?

– Oui. C’est le 20 juillet qu’il y a eu l’altercation avec le policier, en fait… gratuitement. Ce qu’il s’était passé c’est que le Contrôleur Général des Lieux de Privation de Liberté2 s’était déjà rendu, il me semble vers le mois d’avril ou de mai ou de juin, au centre de rétention de Lyon, et il avait fait un rapport par rapport à ça. Donc moi je leur avais aussi apporté un témoignage qui avait été fait le 8 août, et eux ils m’avaient répondu par lettre, non, par mail, le 23 octobre il me semble.

– Tu veux nous dire ce qu’ils t’ont répondu ?

– Je peux te lire le courrier. Juste je le cherche… Là je leur ai réécrit une lettre y’a pas longtemps. Voilà, alors la lettre elle est là. En fait j’étais passée par une amie, j’avais envoyé le mail avec Forum sur sa boîte mail, ce qui fait que quand ils ont répondu ils l’ont envoyé chez elle, et elle me l’a transféré sur ma boîte ici. Donc je te lis :

« Madame,

Je fais suite à votre courrier électronique du 8 août dernier par lequel vous alertez le contrôleur général des lieux de privation de liberté sur la situation de Monsieur Anis, retenu au centre de rétention administrative de Lyon au cours de l’été 2023. J’ai pris connaissance de ce signalement avec attention et je vous prie de bien vouloir excuser le délai au terme duquel j’y donne suite. Le témoignage de Monsieur fait pleinement écho au constat recueilli par mes services lors de la première mission de contrôle de ce centre par le CGLPL, du 13 au 17 mars dernier. Les graves atteintes au droit constatées lors de la visite de cet établissement et de 3 autres centres de rétention administrative à la même date au Mensil-Amelot, à Metz et à Sète ont donné lieu à la publication de recommandations dites « urgentes » au journal officiel du 22 juin 2023. La première ministre, ainsi que le ministre de l’Intérieur et le ministre de la Santé, en ont été destinataires. Le CGLPL estime en effet, à l’issue de ces visites, qu’il y a urgence à modifier profondément l’approche actuelle en matière de prise en charge des étrangers placés en CRA. Sans une volonté résolue d’assurer le respect des principes qui régissent en droit français le recours à la rétention administrative, sans une élévation des standards concernant les conditions de rétention, et sans une professionnalisation accrue des fonctionnaires en charge de la mise en œuvre de ces mesures, les atteintes sévères à la dignité et aux droits fondamentaux des personnes retenues se poursuivront. Les pratiques d’isolement et de contention observées au CRA de Lyon ont spécifiquement fait l’objet de la recommandation suivante : « Il doit être mis fin sans délai aux mesures d’isolement et de contention prises à l’encontre de personnes retenues, aucune disposition législative ne permettant le recours à de telles mesures en dehors du cadre des soins sans consentement strictement défini par le code de la santé publique »3. Le témoignage de Monsieur a ainsi particulièrement retenu mon attention. Il en sera tenu compte dans le cadre du suivi des recommandations du CGLPL auprès des autorités locales et nationales. Je prends acte que l’intéressé a déposé plainte pour des faits de violence dont il se dit victime de la part de plusieurs policiers survenus au mois de juillet dernier. En application de la convention suite à notre restitution, je transfère le témoignage de Monsieur au Défenseur des Droits pour compétence. L’une des missions de cette autorité est en effet de veiller au respect des règles déontologiques applicables aux professionnels de la sécurité. J’encourage s’il le souhaite Monsieur à lui transmettre également son témoignage ainsi que toutes les pièces utiles à la compréhension de ses difficultés et des démarches qu’il a entreprises pour les dénoncer : certificats médicaux, réponses des autorités saisies, etc.

En vous remerciant de m’avoir alerté sur cette situation, je vous prie de bien vouloir agréer l’assurance de mes sentiments les meilleurs. »

Donc ça c’est la lettre que j’ai reçue le 23 octobre. Et là le 30 novembre j’ai réécrit au CGLPL en mettant comme objet les conditions de vie au CRA. Tu veux que je la lise ?

– Oui vas-y.

– « Madame-Monsieur le Contrôleur général des lieux de privation de liberté,

Par la présente, je tiens à attirer votre attention sur les conditions de vie inhumaines au centre de rétention administrative de Lyon-Satolas. Ce sont certains policiers d’une même équipe qui abusent de l’autorité, qui font preuve de violences verbales envers les retenus, qui les bousculent afin de les provoquer pour une confrontation physique. Ces policiers sont couverts par leur hiérarchie au sein du CRA.

De plus, le service médical du centre est par conséquent complice des violences physiques et verbales sur les retenus en ne leur délivrant pas de certificat de constatation médicale. Il est essentiel de garantir la sécurité et la dignité ainsi que le respect des droits fondamentaux de toutes les personnes retenues. Je vous demande également de faire en sorte que les violences policières soient condamnées et que les retenus se sentent en sécurité en les informant de leur droit de porter plainte en cas d’abus.

Je tiens à vous faire part que les lieux de vie sont insalubres. Les chambres n’ont pas de fenêtres, ce qui expose les retenus, en particulier pendant des périodes de mauvais temps, au froid ainsi qu’à l’humidité, ce qui peut aggraver leur état de santé déjà fragile. Les douches ne sont pas nettoyées quotidiennement ce qui engendre des moisissures, de la crasse au sol. Certains retenus sont restés durant des mois sans pouvoir faire leur toilette du fait qu’il n’y avait pas d’eau à la douche. Concernant les cabines téléphoniques des blocs, beaucoup sont hors service. J’ai saisi le Juge des libertés4 concernant la violation de mon droit de communiquer. Mais le brigadier-chef en la personne de monsieur Jassume Pas* se permet de mentir au juge des libertés en affirmant que toutes les cabines des six blocs sont fonctionnelles alors qu’elles ne le sont pas. Je vous prie de venir constater l’état des cabines téléphoniques ce qui prive les retenus de leur seul moyen de communication avec leurs proches, les autorités consulaires, les avocats, Médecins Sans Frontières, le Défenseur des droits ou le CGLPL.

Les retenus sont également confrontés à signer des papiers en langue française sans que cela soit accompagné d’une traduction ou d’un interprète au sein du CRA 2 lors des décisions rendues par les diverses juridictions : le JLD, le tribunal administratif et la cour d’appel administrative, ainsi que les demandes d’asile, ce qui ne leur permet pas de comprendre les refus ou les verdicts afin de constituer réellement leur défense.

Enfin, concernant les visites, il y a quatre cabines prévues à cet effet, mais seule une reste ouverte, pour 30 minutes. Le CRA 2 englobe les personnes de la région Auvergne-Rhône-Alpes, c’est une région assez vaste. Les distances parcourues par certaines familles sont de 2 voir 3 heures de route rien que pour l’aller. Les 30 minutes sont insuffisantes. Cette restriction empêche les retenus de maintenir des liens familiaux essentiels pour leur bien-être émotionnel. Je vous exhorte, en tant que Contrôleur des lieux de privation de liberté, à prendre des mesures urgentes afin de remédier à ces conditions inhumaines. Veuillez agréer mes sincères salutations. »
Donc ça c’est la dernière lettre que j’a dû écrire au mois de novembre.

– Ok, bah tu t’es chauffé hein!

– Haha. Bah le problème c’est que ça fait 42 ans que je suis en France, j’ai fait toutes mes études en France, toute ma scolarité et tout… donc après, voilà quoi.

– Est-ce que du coup les flics ils savent que tu écris ces lettres-là ? Ça passe par eux ou ils savent pas ?

– Bah en fait si, ils voient que j’écris des lettres. Mais en sachant qu’ils nous interdisent les stylos. La semaine dernière ils m’ont pris mes quatre stylos. Donc voilà après il faut que j’arrive à retrouver des stylos, et là c’est vrai que ça fait depuis une semaine à peu près que j’ai pas de stylos pour ré-écrire.


– Et par exemple, à Forum Réfugiés c’est quelque chose qu’ils vous proposent, des stylos, des moments pour écrire ou des trucs comme ça ?

– Bah ils ont interdiction de nous fournir des stylos parce qu’ils disent que ça pourrait être une arme, être dangereux, mais pour moi c’est simplement pour pas qu’on écrive quoi.

– Tu peux utiliser des stylos là-bas ou même pas, ils veulent même pas faire ça ? Quand tu vas voir Forum ?

– Le problème c’est que nous on a accès pendant 1 heure à une zone qui s’appelle la « ZAC » et dans cette zone-là on a accès à Forum, on a accès à la bagagerie (ça veut dire que il y a nos habits, des choses comme ça), et le service médical, mais en 1 heure on peut pas écrire quoi que ce soit, parce qu’on est à peu près une vingtaine de retenus pour chaque bloc. Les personnes de Forum souvent sont [inaudible] mais vu que chacun a des problèmes administratifs, ça va être quoi, on va discuter 5 minutes, 10 minutes, et après quelqu’un va commencer à frapper à la porte et tout ça quoi. Donc non c’est pas là-bas qu’on peut se poser et qu’on peut écrire des lettres comme ça quoi.


– Et du coup pour un peu comprendre comment ça se passe la ZAC, c’est une heure pour chaque bloc ou une heure et tous les blocs sont ensemble ?


– Non, c’est une heure pour chaque bloc. Nous on va y aller de 14h à 15h après de 15h à 16h il y a un autre bloc, de 16h à 17h encore un autre et il y en a aussi le matin de 9h à 10h, et de 10h à 11h.

– Et donc du coup toi tu vois jamais les gens d’autres blocs ? 

– Non, c’est vraiment rare très rare… Donc après j’ai écrit aussi une lettre où j’avais déposé plainte le 30 juillet auprès du Procureur de la République concernant les violences. Je peux te lire mon dépôt de plainte. J’avais écrit :

« 
Madame Monsieur le Procureur de la République,



J’ai l’honneur d’attirer votre attention sur les faits suivants :

Le lundi 24 juillet lors de l’appel pour se rendre au réfectoire afin de prendre notre petit déjeuner, j’ai récupéré mon linge à la buanderie. Entre 7h20 et 7h35 j’engage une discussion concernant mon linge qui a été oublié dans la machine à laver deux jours auparavant. Sans aucune insulte de ma part, le policier aux frontières dont le RIO5 est le 116 1216 me frappe à plusieurs reprises sur mes cervicales. Dès lors le policier dont le RIO est le 134 7696 dit à plusieurs reprises “attention aux caméras”, et il cesse de me porter des coups. J’ai été menotté sans résistance. Des douleurs apparaissent.

Je suis transporté dans la salle d’isolement dépourvue de caméras. J’ai été fouillé et menacé par le policier 134 7696. J’ai demandé à plusieurs reprises à être consulté par le médecin ou des pompiers afin de constater les coups de poings reçus ainsi que les douleurs aux cervicales, aux épaules. Vers 8h30, sept policiers entrent dans la cellule afin de m’attacher les chevilles ainsi que les poignets au lit malgré les douleurs exprimées.

Vers 11h30, étant toujours attaché au lit, une personne se présentant en tant qu’infirmière et dont je n’ai pas pu voir le visage de fait que mon cou était bloqué à droite. L’infirmière n’est jamais parvenue à mon chevet dont le lit se trouve à 3 mètres de la porte, les caméras du couloir d’isolement le prouveront. J’ai réitéré auprès de l’infirmière ma demande de voir le docteur Bessedic ou des pompiers afin d’avoir une minerve que seul le médecin peut prescrire. Je lui ai dit avoir une douleur de 7/10 au niveau des cervicales jusqu’à l’épaule, que la position avec les bras écartés attachés au lit amplifiait ma douleur. Vers 13h30 j’ai demandé à pouvoir accéder aux toilettes. Après l’accord du responsable, je suis détaché. Je leur fais remarquer que je n’ai pas eu de repas ainsi que le petit-déjeuner du matin. Le sachet de repas avait été mis devant la porte à l’extérieur. Donc après avoir réglé mon repas j’ai été encore attaché au lit malgré mon insistance verbale qui exprimait ma douleur, les bras écartés. J’ai été attaché durant 8 heures jusqu’à ce qu’une sangle lâche, sinon je ne sais pas combien de temps aurait duré ce calvaire. J’ai subi 26 heures d’isolement jusqu’au mardi 25/07/2023 où j’ai réintégré le bloc 4.

Le mardi 25/07/2023 lors de l’accès à la ZAC et dans cette même zone je lui ai fait remarquer qu’il ne gardait pas son sang-froid et que heureusement qu’il n’est pas armé car une bavure de sa part aurait pu, peut-être, avoir lieu. Il me répond que me concernant il m’aurait tiré une balle dans le dos.

Le mercredi 26 juillet je suis transporté à l’hôpital pour une radio de l’abdomen alors que je lui fais remarquer que j’ai des douleurs aux épaules et aux cervicales. Il me montre l’ordonnance qui stipule une radio de l’abdomen, le médecin Bessedic m’a prescrit une ordonnance sans me consulter. Le radiologue après avoir consulté le service médical du CRA me dit qu’ils ne veulent pas changer l’ordonnance, que ce sera bien une ordonnance de l’abdomen, malgré que je leur dis que je n’ai rien avalé. Le jeudi 27 juillet, le docteur Bessedic me reçoit et je lui annonce mes douleurs aux épaules ainsi qu’aux cervicales. Il a prescrit une échographie de la zone.

En conséquence, par ses motifs, je désire porter plaindre contre ce policier pour violences physiques. Je précise que pratiquement toutes les zones sont couvertes de caméras de protection sauf la salle d’isolement. Je vous prie de considérer cette lettre comme un dépôt de plainte.

Dans l’attente des suites que vous donnerez à cette lettre, je vous prie d’agréer, Madame Monsieur le Procureur de la République, l’expression de ma haute considération. 
Fait pour valoir ce que de droit. »

Donc ça c’est ce que j’avais écrit. Parce que, en fait, qu’est-ce qu’il se passe ici au CRA ? les médecins ils sont vraiment pas là pour nous écouter. Moi quand j’ai été attaché… Parce qu’il y avait d’autres personnes auparavant qui avaient été attachées, mais ils restaient attachés jour et nuit ! Et en fait l’après midi quand ils m’ont re-attaché, j’avais trop trop mal parce que j’avais aussi les pieds attachés avec une sangle de chaque côté. Et en fait en faisant des va-et-vient avec ma cheville gauche, je suis arrivé à desserrer la sangle. Je suis arrivé à desserrer la sangle et à partir de là moi si tu veux je leur ai dit comme quoi il y avait la capsule en métal… je leur ai fait simplement croire que je l’avais avalée mais c’était pour qu’en fait on me ramène au docteur et après au docteur je lui aurais dit la vérité. Je lui aurais dit : « Docteur en fait j’avais rien avalé du tout, c’est simplement que j’ai reçu des coups là, là, là, là ». Donc les policiers, eux ils ont falsifié contre moi. Ils ont mis comme quoi j’étais en garde-à-vue alors que je n’étais pas en garde-à-vue, j’étais bien à l’isolement. Et en mettant comme quoi j’étais en garde-à-vue, la garde-à-vue elle est en dehors du CRA donc pour le docteur je suis plus au CRA, je suis à l’extérieur du CRA. Donc ils ont menti par rapport à ça. Donc c’est pour ça, là, sur l’autre lettre que j’ai écrit au CGLPL, j’ai mis comme quoi le service médical en fait il est complice de tout ça parce que il fait pas son travail.

Après j’avais écrit une lettre à l’ordre des médecins mais je pense pas que je l’ai fait ressortir.
 Sinon j’avais saisi plusieurs fois le Juge des Libertés concernant l’annulation du droit d’accès au téléphone. Mais vu que les responsables ici, les chefs et tout ça, ils mentent en disant comme quoi tout marche alors qu’il y avait des modules qui n’avaient même pas de combinés… Donc comment il peut ne pas y avoir de combinés et que ça marche même ? C’est pas possible…


– Bah oui, nous parfois on essaye d’appeler les cabines et la plupart elles répondent pas…



– Oui parce que en fait vous ça va sonner, mais ici ça sonnera pas.

– Parfois ça sonne même pas. Et dans le CRA 1, il y a plus de cabines aussi.


– Mais là encore l’autre jour vous avez eu de la chance, c’est parce que j’avais saisi le juge des libertés quand je suis rentré au CRA par rapport [aux cabines]. Parce-qu’en fait, l’OFII6 ne vendait plus de téléphone portable. Si tu veux je peux aussi te décrire la lettre que j’avais écrite au Juge des Libertés ?


– Ouais ! Parce que l’OFII vend des téléphones portables sans caméra c’est ça ?

– Oui tout à fait. Il y a une affiche que j’avais fait prendre en photo par Forum qui dit que depuis le 26 octobre ils ne peuvent plus vendre de téléphones portables du fait que la société ne fabriquait plus ce téléphone-là, ou quelque chose comme ça.

– Ah oui ok… ça coûtait combien les téléphones ?


– Alors ils coûtent 25 euros avec la carte SIM Lyca, et 10 euros de recharge. Mais ce qu’il se passe c’est que comme on peut pas enregistrer les cartes SIM, au bout d’un mois la carte SIM elle est morte quoi…


Là si tu veux je peux te lire ceci. C’était concernant l’annulation du droit d’accès au téléphone :

« Cher Monsieur le Juge des Libertés,


Par cette présente je tiens à vous signaler que lors de ma rétention à partir du 28 octobre, j’ai pris acte du rappel de mes droits concernant la mise à disposition des cabines téléphoniques en zone de rétention du bloc 7.

En effet à mon arrivée au bloc 7, où j’ai été affecté, il y a 2 postes téléphoniques, un dans le couloir ainsi qu’un autre dans la cour. Celui situé dans la cour est démuni du module d’écoute. Celui situé dans le couloir ne sonne pas lorsque ma famille appelle en composant le numéro suivant. Celui situé en zone commune, nous n’y avons pas accès.

Je tiens également à vous signaler qu’il n’est plus possible d’acheter de téléphone portable auprès de l’OFII.

Concernant mon téléphone personnel qui est muni d’une caméra, je n’ai eu le droit d’y accéder qu’une seule fois lors de l’accès à la ZAC de 14 à 15 heures, afin d’en extraire mes contacts, le dimanche 29 octobre pendant 30 minutes seulement et communiquer les numéros ci-dessus qui finalement ne marchent pas. Je n’ai pas le droit d’accéder à mon téléphone personnel qui est rangé dans le coffre-fort du CRA. Mon père est actuellement hospitalisé à l’hôpital de Saint-Etienne suite à des problèmes de santé. Celui-ci est âgé de 77 ans. J’ai besoin d’être en contact avec lui afin d’être informé de sa situation médicale à chaque instant. De ce fait, je ne peux être contacté ni contacter mes enfants, mes amis, l’avocat, ainsi que Médecins Sans Frontières pour mes problèmes cardiaques, le Défenseur des Droits et le CGLPL. Ma famille et mes amis doivent être inquiets de ne pas pouvoir me joindre. Je vous prie de constater mes dires concernant les postes défectueux, hors service.

Dans l’attente, je vous prie d’accepter Madame-Monsieur le Juge des Libertés, l’expression de mes sincères salutations. »

Par rapport à ça, les juges ils ont voulu me voir. Parce que c’est un droit en fait. Si tu veux je peux te dire ce que la juge a dit. Donc moi je les saisis, je leur explique que les deux cabines [ne fonctionnent pas]… Et ce qui s’est passé, c’est que moi j’avais écrit cette lettre, je l’avais passée à Forum. Et Forum, Julien, le chef, n’a pas fait passer ma lettre ni la photo qui disait que l’OFII ne vendait plus de téléphone portable. Alors que je leur avais donnée. Et Forum je sentais qu’en fait ils disaient : « non mais ça sert à rien de les saisir, on va téléphoner directement à la direction pour qu’ils réparent ». Je lui dis : « mais si maintenant tu saisis la direction et qu’ils les réparent ça sert à quoi que je saisisse le juge ? Ça va servir à rien du tout si demain ils les réparent ! ». Donc j’ai senti, après je lui ai dit comme quoi j’allais écrire à son supérieur par rapport à ça. Il a eu son supérieur qui lui a dit « non ben, saisissez le Juge des Libertés ». Il a saisi le juge des libertés sans mettre ma lettre et sans mettre la photo où l’OFII met comme quoi ils ne vendent plus de téléphones portables pour l’instant. Donc là, la juge a écrit :

« Monsieur a eu la parole en dernier, il explique que les cabines présentent d’importants dysfonctionnements, qu’il n’est pas possible d’acheter de téléphone portable auprès de l’OFII, qu’il n’a pu utiliser son téléphone personnel qu’une seule fois pendant 30 minutes pour son arrivée, celui-ci étant désormais rangé dans le coffre du Centre. Monsieur expose que les trois cabines mises à disposition dans le bloc où il est retenu ne sont pas opérationnelles, l’une étant démunie du module d’écoute, l’autre ne sonnant pas quand sa famille appelle ; à partir du 26 octobre, qu’il n’y a plus de vente de téléphone par l’OFII en raison d’un épuisement des stocks, et qu’après son arrivée au centre il n’a pu accéder qu’une seule fois à son téléphone personnel le 29 octobre.

La somme de ces difficultés fait selon lui obstacle à l’exercice de son droit de communiquer avec les personnes de son choix, une telle violation lui faisant nécessairement grief, ce d’autant qu’il a besoin d’entrer en contact avec sa famille pour avoir des nouvelles de son père, malade, et de ses enfants, mais aussi de prendre contact avec d’autres intervenants pour le suivi de sa situation médicale et administrative.

Si Monsieur justifie par le biais d’une photographie non contestée par l’autorité administrative que l’OFII n’est plus en mesure de vendre des téléphones aux retenus faute de marchandises téléphoniques, force est en revanche de constater qu’il n’apporte pas la preuve des dysfonctionnements qu’il invoque concernant les deux cabines téléphoniques publiques installées dans le bloc où il est placé. Le courrier qu’il communique sur ce point est en effet dépourvu de toute valeur probante s’agissant d’un écrit dont il est lui-même l’auteur. Or, en première instance, à la demande du conseil de l’autorité administrative, le CREP du centre de rétention administratif au sein duquel monsieur est placé, pris en la personne de Jassume Pas*, brigadier-chef, a envoyé un courriel au greffe le 7 novembre à 8h42 au terme duquel il certifie que tous les téléphones des zones de vie du centre de rétention administratif sont à ce jour fonctionnels, et précise qu’au jour de la requête de Monsieur, soit le 4 novembre, ils étaient également en état de marche. (Là c’était un très gros mensonge.) Il ajoute encore que les retenus ont accès à ces téléphones et peuvent aussi, à leur demande, avoir la possibilité de consulter leur propre smartphone pour récupérer des contacts si besoin en bagagerie. Il s’avère, de ce message électronique, que les deux téléphones publics libres d’accès dans les zones de vie du bloc 7 du centre de rétention où il est placé, doivent être considérées comme en état de fonctionnement à défaut d’éléments contraires.

Il est, certes, indéniable que l’impossibilité temporaire de pouvoir acheter des téléphones auprès de l’OFII a pour effet de restreindre l’accès de Monsieur aux moyens de communication permettant d’entrer en contact avec toute personne de son choix, et pour autant Monsieur ne démontre pas se trouver dans l’impossibilité de téléphoner à ses proches et donc d’exercer le droit de communiquer consacré par l’article R744-16 du CESEDA, eu égard à la présence de deux cabines précitées et à la faculté de demander à consulter son téléphone personnel. En l’état, il est faux de considérer que l’exigeant est en incapacité d’exercice du droit de communiquer, qui est respecté, ce qui conduit par confirmation de l’ordonnance de référé au rejet de la demande de main levée formée par Monsieur. »

Donc en fait pour eux, il aurait fallu que je prenne en photo la cabine, pour leur faire voir qu’elle ne peut pas marcher si il y a pas de module. L’avocat du préfet, il s’est levé deux secondes, il a dit « Monsieur il parle mais il n’apporte pas de preuves ». Et il s’est rassis.

– Parce que tu étais à une audience, tu vas vu le JLD exprès pour ça ?

– Oui, parce que j’avais fait appel. Là ce que je t’ai lu c’est quand j’ai fait appel de ça. En gros ils disent que c’est au requérant de ramener la preuve. Et moi je leur avais dit en première instance : « comment vous voulez que je ramène la preuve si j’ai pas de téléphone avec appareil photo ? ». Et la juge c’est pas elle qui va se déplacer pour constater ça, d’autant plus que le brigadier-chef a fait un rapport en disant que toutes les cabines de tous les blocs marchaient, alors que c’est vraiment un mensonge.

– Je sais, on essaie d’appeler souvent et ça marche pas. Et je sais qu’il y a la CIMADE aussi qui voulait faire un communiqué dessus, je sais pas où ça en est.

– Là ils ont remis des téléphones en vente il y a à peu près une semaine. Mais bon après la plupart des retenus ils ont pas beaucoup d’argent, des choses comme ça. 


– Nous on avait parlé avec quelqu’un de la CIMADE qui nous avait expliqué que le commandant de police du CRA lui avait fait faire une visite du CRA et qu’il avait constaté que les cabines ne marchaient pas, et qu’ils voulaient faire un communiqué public là-dessus.

– Après ça dépend quand est-ce qu’ils sont venus… Moi je suis rentré le 28 octobre. Mais après j’étais là aussi cet été, toutes les cabines ne marchaient pas. À chaque fois qu’ils m’ont ramené dans un bloc j’ai toujours saisi le Juge des libertés par rapport à ce droit. La première fois, cet été, l’avocate du préfet a dit comme quoi j’étais entré avec une somme d’argent assez conséquente et que je pouvais acheter un téléphone portable si j’avais vraiment besoin de téléphoner. Et voilà. Mais sinon… En fait la plupart des retenus ils pourraient sortir s’ils connaissaient ce droit-là.

*Nom modifié par nos soins à la demande de l’intéressé.

1 Les CRA sont organisés en plusieurs bâtiments appelés « blocs ».

2 CGLPL dans la suite du témoignage.

4 Le Juge des Libertés et de la Détention (JLD) est l’un des magistrats qui intervient quand les droits d’une personne sont en jeu. Il statue notamment sur la légalité des décisions de placement en rétention administrative.

5 Numéro d’identification individuel des agents.

6 Office Français de l’immigration et de l’intégration, dont des représentant·es sont présent·es dans les CRA soi-disant pour « l’accompagnement » des personnes détenues.

 

Tentative de suicide au CRA de Lyon-Saint-Exupéry : Témoignage d’un co-détenu

[TW : suicide]
Le 26 décembre dernier, un prisonnier au CRA de Lyon-Saint-Exupéry a tenté de se suicider. C’est dans ce contexte, qu’un co-détenu choqué qui le pensait décédé a souhaité témoigner.
Si nous n’avions aucune nouvelle de la victime au moment du témoignage, nous avons par la suite obtenu des informations selon lesquelles il aurait été hospitalisé et serait toujours en vie. Nous n’avons pas pu le contacter et nous ne savons ni où il est, ni comment il va.
Ne sachant pas sa volonté concernant la médiatisation de sa tentative de suicide, nous avons longuement hésité à publier ce témoignage. Après réflexion, nous choisissons de le faire, pour ne pas invisibiliser le parole de Samy, son co-détenu, qui témoigne ici. Les tentatives de suicide récurrentes, l’absence totale d’informations pour les prisonnier-es et le mépris auquel iels font face lorsqu’iels essayent d’en avoir : tout cela fait partie des violences carcérales et nuit à la santé mentale des détenu-es.

*
– Est-ce que tu peux nous réexpliquer ce qu’il s’est passé, ce que t’as vu ? 
Avant qu’il fasse ça, l’autre jour il m’a dit « demain je vais trouver une solution ». Je lui ai dit c’est quoi ta solution ? Il m’a dit « j’en peux plus ça fait neuf jours que je mange pas, je fais une grève de la faim ». Il m’a dit « j’sais pas demain je vais trouver une solution ». Je lui ai dit « avec qui ? »  Il m’a dit « avec la police, avec tout », il m’a dit « demain je vais trouver une solution je reste pas comme ça, je vais trouver des solutions ». et il a fait ça tu vois. il a  fait la corde.
*
Il faisait une grève de la faim c’est ça ? 
Ouais il a fait une grève de faim ça fait neuf jours il a pas mangé. et après il a fait ça. 
*
– Et il t’avait dit pourquoi il faisait une grève de la faim ? 
Il m’a dit « j’sais pas j’ai envie de rentrer au bled mais ils veulent pas me ramener au bled j’sais pas, ils veulent pas me libérer ici ils m’ont mis direct en prison direct ». Ils ont ramené lui ici, il vient pas de dehors tu vois. Il a fait deux mois trois mois de prison après ils ont ramené lui direct de prison direct au CRA tu vois. Il m’a dit « j’en peux plus je sais pas je sais pas j’en peux plus c’est ça ma vie jusqu’a quand je vais rester comme ca? » je lui ai dit « moi aussi je suis comme toi » tu vois. Il me demande du feu je dis à lui « viens manger avec nous et je te donne du feu » tu vois, parce que c’est interdit j’ai un briquet je dis à lui « je sais pas viens manger fais un truc » lui non il boit que des cafés, que des cafés tu vois il fume des cigarettes, il boit pas il mange pas, rien, il fume que des cigarettes.
*
– À la fin de sa grève de la faim il t’a dit « demain je vais trouver une solution avec la police » c’est ça ? 
Moi j’avais pas pensé à une solution comme ça je sais pas normal je pensais il va trouver une solution ça veut dire avec les policiers, avec sa femme, avec sa famille mais j’ai pas pensé ça tu vois.
*
–  Qu‘est-ce qu’il s’est passé le lendemain? 
A 11h presque à 11h55 ils sont venus les policiers ils ont dit « le repas le repas!« , nous on est partis le repas, moi je suis sorti la dernière personne tu vois. Y a un policier je le connais, je dis « madame en fait lui là ça fait neuf jours il a pas mangé il a fait une grève de faim, va voir les policiers civils ». Elle m’a dit « ouais ouais ouais ouais je vais parler avec lui ». Elle elle est partie pour parler avec lui, après elle a laissé lui dans la chambre tu vois je suis parti moi avec le policier, si tu vois les caméras tu vas voir ça tout ça, j’suis parti avec le policier lui il est resté tout seul dans le bloc. Lui il est resté tout seul dans le bloc nous on est partis manger presque on l’a laissé trente minutes, trente minutes. Quand on est revenus on est rentrés je l’ai vu le mec je sais pas on dirait dans un film, je sais pas avec le fil il est attaché, je sais pas je pense là c’est un truc grave, je sais pas qu’est ce je dois faire là je sais pas j’en peux plus je te jure j’y crois pas là.
*
–  Du coup quand t’es rentré dans la chambre
Ah ouais je rentrais on est rentrés tous on l’a sorti nous on l’a emmené à l’infirmerie tu vois, pas les policiers. Nous on a coupé la corde on a coupé tout on est partis, on court tu vois.
*
-Toi tu étais dans la chambre en face ? 
En face de lui.
*
– Et quand t’es rentré dans sa chambre..? 
Non nous on est rentrés dans le bloc tu vois on a fini de manger mais on est tous on est rentrés comme ça là, je vais aller dans ma chambre, l’autre il va aller dans sa chambre, tu vois chacun dans sa chambre. Moi j’ai vu le mec je sais pas tu vois tout le monde « ohh !!! ». Je sais pas ça me choque, avec le fil avec le truc là le fil noir tu vois le truc de baskets, à coté de la fenêtre il a fait ça, dans la chambre, il voulait fermer sa chambre avec… il avait un grand fil tu vois il voulait fermer la porte ou je sais pas, il a fait ça. 
*
– Et ça tu te souviens de y a combien de temps c’était ? 
Ca fait là… treize jours ou quinze jours un truc comme ça.
*
– C’était en décembre ? 
Ouais ouais c’était y a deux semaines un truc comme ça.
*
– Et quand vous l’avez trouvé, qu’est ce que vous avez fait vous ? 
Moi, je sais pas, je vois la tete après tous ils disent « allah akbar allah akbar » tous on sait il est mort tu vois parce que ça se voit. Il est pas par terre il est pas je sais pas assis tu vois il est attaché comme ça avec le fil ses pieds ils touchent pas par terre tu vois. ça fait trente minutes il est tout bleu il est gonflé il est gonflé tu vois ses joues comme ça bleu, tout bleu, lui tout froid y a plein de bave dans sa bouche, dans son nez tu vois, ça me choque ça me choque ça me choque j’ai jamais vu ça dans ma vie moi je sais pas, je sais pas je comprends pas.
*
– Et après tu m’as dit vous l’avez emmené à l’infirmerie c’est ça ? 
Ouais ouais ouais on dit « allah akbar allah akbar » on est tous je pense quatre cinq, on a porté lui, on court avec, on le porte, on va courir jusqu’à l’infirmerie, à l’infirmerie on dit « appelle pompiers appelle pompiers appelle pompiers !!!«  la police ils ont sorti moi ils ont ramené moi direct dans l‘isolement. ils ont ramené moi dans une chambre tout seul je sais pas pourquoi, j’étais là « j’ai rien fait j’ai rien fait pourquoi je suis puni comme ça? » ils ont dit « monsieur attends attends, attends un peu », ils ont gardé moi, moi je comprends pas qu’est ce qu’il s’est passé tu vois qu’est ce qu’il va se passer avec lui tu vois, parce que moi quand je l’ai ramené je l’ai laissé  l’infirmerie tu vois. et ils ont pris moi ils  m’ont pas retourné dans mon bloc, direct ils ont gardé moi à l’isolement, dans une cellule tout seul tu vois.
*
 – Ils t’ont amené à l’isolement après ? 
Ouais, tout seul, ils ont ramené moi, moi je suis tout seul là bas, dans une chambre je sais pas un mètre carré je suis tout seul, je suis là « pourquoi, pourquoi? », je pétais les plombs, pourquoi pourquoi, ils ont dit « calme-toi calme-toi reste là bas ». je suis resté presque deux heures là-bas. je tape la porte je tape la porte, je l’insultais, je l’insulte, je dis « j’ai rien fait, j’ai rien fait de mal, pourquoi j’suis ici, le mec il est mort pourquoi tu me gardes ici, j’ai rien fait! » je tape la porte je tape la porte je tape la porte. et après dans deux heures ils sont venus ils ont ouvert la porte ils ont dit « calme-toi, ton pote il est parti à l’hopital, avec des policiers, il est pas mort »,  je dis « dis ça pour quelqu’un d’autre qu’il est pas mort, pas pour moi«  tu vois.
*
– Les policiers et les infirmiers ce qu’ils disent c’est qu’il est pas mort c’est ça ? 
Ouais c’est ce qu’il disent mais je sais moi, je sais, tu crois il est pas mort? mais je sais il est mort, je suis sûr. Je suis sûr, ça fait trente minutes il est attaché avec le fil il est pas mort ? il respire pas, son coeur il bat pas, je sais pas, il est mort il est mort !
*
– et Forum Réfugiés par exemple ils disent quoi, ils disent pareil que la police ? 
Ouais, moi j’étais là « arrête de mentir ! », ils veulent pas moi tu vois parce que moi direct dans son visage ils disent qu’ils savent je sais pas quoi il est pas mort, il m’a dit « non non toi comment tu sais toi, t’es dieu toi ? », je dis à lui « starfoullah c’est pas bien, je sais il est mort il est mort il est mort« . comment il est pas mort ? ça fait trente minutes il est attaché avec le fil comment il est pas mort ? tu vois ? je suis contre ça moi, j’sais pas j’en peux plus, après ça même j’ai voulu changer de bloc ils ont dit non, on n’a pas le droit, mais j’sais pas, ils veulent rien. 
*
– Et lui toutes ses affaires elles sont encore au bloc ? est-ce qu’il a laissé quelque chose ? 
Ouais, ouais affaires vêtements il a des trucs ici, il a un document il a tout. 
*
– Toutes ses affaires elles sont restées au CRA ? 
Ouais ouais ouais ouais ouais. Le papier, la police ils demandent ça ils m’ont dit « fais voir ça tu vas pas garder ça », je dis à lui et pourquoi si il est pas mort ? pourquoi tu veux récupérer ça alors ? 
Je lui dis, « demande à lui commant il à fait, machin, tu demmandes pas à moi ». Il m’a dit « il est pas mort », alors demmande à lui, parle avec lui. Lui il va t’expliquer si tu m’as dis il est pas mort. Pourquoi tu me demandes comment il a fait qu’est-ce qu’il a fait ; il est rentré ou machin nanani, nanana. Bah si lui il est pas mort, t’as dit il est pas mort, demande à lui il va t’expliquer comment ça se fait, comment il a fait, tu vois ?
*
Du coup il a laissé une lettre c’est ca ?
Ouais pour sa femme, pour sa vie, pour la vie tu vois … Il a dit, je sais pas, les gens ils sont (?) entre nous. Il a écrit ca avant qu’il meure, le jour. Je vois lui comment il écrit il écrit, il m’a demandé un stylo, il marque, il marque, il marque. Il mange pas il fume, il allume une clope, il fume, il fume, il fume … Moi ça me fait trop mal au coeur, je ramène lui la salle, la salle tu vois. J’lui dis à lui « viens manger avec nous », il vient mais son plateau il le touche pas, il le touche pas … J’lui dis « fais moi plaisir mange une pomme, mange une banane ». Il m’a dit, « j’ai pas d’appétit tu vois, je peux pas manger ». Lui j’sais pas il a écrit ça après j’ai pris ca dans sa chambre tu vois.
Direct, direct je l’ai porté mais il est trop lourd, trop lourd, trop lourd, ça se voit bien qu’il est mort, il respire plus, moi quand je touche son cœur, je mets mon visage à coté de son visage, et il respire pas. Il est mort. Il est mort. Ca fait 10 jours, il demande au policier si je sais pas il parle avec eux, il lui dit « soit vous envoyez moi au bled ou si non pourquoi je suis ici, j’ai mon passeport, j’ai tout, mais pourquoi je suis pas libéré ! ou pourquoi je suis pas envoyé au bled, pourquoi tu m’gardes ici, pourquoi ? » Et personne il a écouté lui. Personne, personne, personne … On dirait, je sais pas, un oiseau il est mort, ou j’sais pas une ptite bête, ou j’sais pas il est mort, j’sais pas, pas une personne comme nous. Moi ça me fait trop mal au coeur.
*
– Et du coup comment tu vas toi ?
Moi je suis pas bien moi, j’suis pas bien. Ouais en plus j’ai le jugement le 60, heu le 19. J’sais pas … j’sais pas j’ai envie de faire un truc, j’sais pas moi … j’suis contre ca. Mais pourquoi j’suis enfermé, j’ai pas de laisser-passer, j’sais pas c’est pas la première fois. Même pourquoi ils me libèrent pas ? Pourquoi ils me gardent ici ? Moi c’est pas ma place ici. Tout le monde il t’cherche la merde. J’sais pas le policier tout à l’heure j’ai pas mangé à midi parce que j’ai fais un retard de 2 minutes. J’étais à la douche,  ils ont appelé « le repas, le repas, le repas ». Tous ils sont sortis moi j’sais pas, j’ai dit « dans 2 minutes j’arrive ». Ils ont dit « non il y a pas dans 2 minutes, attends jusqu’à 19h ». J’ai pas mangé toute la journée. J’sais pas j’ai rien fait, j’ai pas envie d’insulter eux, parce qu’ils vont me ramener à l’isolement. Tout seul ni matelas ni rien. J’sais pas j’en peux plus, j’te mens pas j’en peux plus, on vit comme des animaux ici, tu vois. Pire, pire que les animaux. Comme les animaux tu parles, tu ouvres ta bouche ils te ramènent à l’isolement, tu vois. J’sais pas, ils t’insultent, « sale esclave », j’sais pas « sale bledard », j’sais pas j’en peux plus moi. Y a pas que avec moi comme ça, avec tout le monde ils sont comme ca.
Je te mens pas la dernière fois ils ont fais exprès, 90 jours, 90 jours. Moi j’fais 60 jours, y a pas de laisser-passer, oui j’suis d’accord. Pourquoi j’suis ici ils ont rajouté moi 15 jours, à 75 jours y a pas de laisser-passer, 90 jours y a pas d’laisser-passer … Après j’suis sorti d’ici à 21h, ils ont fait exprès, j’trouve pas ni tram, ni bus, ni rien … J’ai marché à pied jusqu’à la gare. J’sais pas, j’sais pas, j’suis fatigué moi. J’te mens pas j’suis pas bien, même dans ma tête même partout. Je dors pas la nuit, je dors mal, j’sais pas, personne ne t’écoute. J’ai plein de souci, j’ai plein de problèmes. Je sais pas je comprends rien. Je comprends pas ma vie. Des fois j’me dis, pourquoi je vis comme ça, jusqu’a quand ? Tu vois. Mais je sais pas. … Des fois je me dis, ca va aller, ca va aller, ca va aller. Tous ils sont … ils disent ça va aller mais après jusqu’à quand, tu vois …
Moi j’suis pas contre la France, j’aime la France c’est pour ça j’ai pas quitté la France. J’ais l’interdiction de 3 ans mais j’peux pas quitter la France j’ai ma femme, elle est francaise, je l’aime. J’suis trop bien avec elle, j’ai pas de famille. Moi j’suis pas violent, moi, j’aime la France. Je sais pas, j’ai envie de rester ici, j’ai envie de vivre ici. Pourquoi les gens ils volent, ils font les trucs, les gens ils font les violences. J’sais pas ils sont dangereux, ils sont dehors. Mais les gens ils sont bien j’sais pas et pour les papiers, pour l’interdiction, y sont … Je sais pas on est la on est enfermés, on a rien fait. Les gens, les vendeurs, ils vendent du shit, puis l’autre il est voleur, l’autre il fait les violences, l’autre je sais pas, ils sont dehors. Nous ont fait rien, je sais pas, on est enfermé la, j’suis enfermé … 
Je sais pas, j’en peux plus j’te mens pas. J’te mens pas, j’en peux plus. J’ai pensé j’ai envie de faire comme lui, mais j’sais pas … J’suis au bout, j’suis au bout, j’suis au bout … J’suis au bout, je sais pas j’ai envie de sortir. La je sais pas le 20 janvier, heu le 19 si ils me libèrent j’sais pas ca me fait trop du bien. J’ai envie d’me reposer, j’ai envie de rentrer chez mon cousin, à l’aise. Je sais pas j’ai pas envie de parler avec les gens, j’ai envie de voir un psychologue, j’ai envie de faire les démarches. Je sais pas j’ai envie d’me reposer, reposer, reposer. Tout le monde il parle ici, il dort pas ni la nuit ni la journée. Je sais pas j’suis fatigué, j’suis fatigué, j’suis fatigué.
Normalement j’suis pas comme ca, normalement j’suis bien, je travaille. J’suis bien dans ma vie j’ai 25 ans tu vois. Mais non, moi j’suis ici, j’suis enfermé, je vois rien, j’écoute rien. Même ma femme elle a perdu sa carte d’identité elle peut pas venir me voir. Tu vois elle pleure tout les jours. Elle me dit « tu m’as laissée toute seule ». Moi je dis « c’est pas à cause de moi, moi j’ai rien fait regarde ». Mais je sais pas …
J’en peux plus, j’en peux plus, y’en a marre, y’en a marre. Y a pas que moi, y a tout le monde ici.
*
-Par rapport à ce qui s’est passé, tu sais si on pourrait faire quelque chose à l’extérieur ? 
J’espère, j’espère, j’espère .. J’espère parce qu’en fait c’est pas un centre ça, c’est pire que la prison, moi je préfère la prison c’est mieux qu’ici, ouai je te mens pas, je te mens pas. Ya rien. Je t’ai dit j’ai fait le retard de deux minutes, ils ont dit « non ! non ! ferme ta gueule » ils ont fermé la porte comme ça devant mon visage, ils sont partis, tous ils ont mangé et ya que moi, j’ai pas mangé, j’sais pas j’ai le traitement là, ici tous les  jours ils me donnent le traitement, tous les jours je dors, tous les jours je suis fatigué, à cause le traitement ils me donnent, j’reste là et je fais rien, j’sais pas toute la journée je dors. Moi je mange pas ça dehors, j’ai dis là je mange ça mais je sais pas j‘ai menti mais je mange pas ça. Même le toubib il m’a dit « nan je sais que tu prends pas ça dehors mais moi je te donne ça » il m’a dit ça ; si il faut on demande le médecin, le toubib, toi et moi. Il m’a dit « je sais que tu manges pas ça dehors mais je te donne ça » tu vois.
*
-Et c’est quoi comme traitement, tu sais ? 
Ils me donnent quatre pregabaline, attends je vais te lire, regarde je prends quoi toute la journée : je prends 4 pregabaline, je prend 4 diazepam, je prend 2 tramadol. C’est fort hein ?! Ca, ça .. euh j’sais pas c’est un truc je sais pas ça te rend plus euh .. c’est plus que la drogue tu vois. J’sais pas toute la journée comme ça dans ma tête je suis fatigué, tout le temps, le corps il est fatigué, je mange pas bien, je sais pas j‘ai perdu plein de kilos, j’sais pas, j’sais pas, j’ai mal à la tête, je dors pas la nuit, tous les jours je fais des cauchemars, je fais des rêves je sais pas je comprends pas ma vie, j’ai dit « putain ! jusqu’a quand ? » Je sors, ça va aller, ça va commencer comme ça. Moi je sors je reste en France, je suis ici je sors pas d’ici, moi j’aime la France je sors pas d’ici, même j’ai une interdiction, je reste ici moi, je suis pas violent je suis pas .. je rentre pas, pourquoi je quitte la France ? Je quitte pas la France, je reste ici. Tu vois, ils me donnent les traitements, ils me donnent ça, il me donnent ça, ils me donnent ça … Après toute la journée je dors. J’étais endormi tout à l’heure, j’ai fait ma douche et ils ont appelé pour le repas moi j’ai dit « dans deux minutes j’arrive, j’arrive madame ! » elle dit « allez allez on a pas le temps » elle a fermé la porte elle m’a dit « attends jusqu’à 19h ». J’attends jusqu’à 19h. Mais moi jsais pas, j’sais pas, même un chat il peut pas attendre jusqu’à 19h, là j’ai trop trop faim, j’ai trop trop trop faim j’ai trop faim tu vois. Ils ont mangé, ils sont allés dans la salle, on mange pas dans le bloc, tu vois, on mange dans la salle. Elle, elle a appelé, ils sont sortis tous, moi j’ai dit je fais un retard de même pas deux minutes, elle m’a dit « nan monsieur j’ai fermé la porte » elle m’a dit « monsieur [nom] attends jusqu’a 19h ». J’sais pas, j’sais pas, j’suis un plastique moi ?? J’sais pas ‘fin, j’en peux plus je te mens pas, j’aimerai bien ils me libérent le 19. Parce que moi j’sais pas ya plein de potes ils sont sortis en 60 jours tu vois. J’aimerais bien je sors, j’aimerais bien, j’sais pas j’ai envie de me reposer, j’ai envie d’aller à la montagne tout seul ! J’sais pas j’ai envie de vider tout, j’ai envie de parler avec moi-même, j’ai envie, je sais pas  j’sais pas j’ai trop mal à la tête, trop mal mal mal mal. J’ai la tête, j’ai le cerveau tout le temps il travaille, 24h sur 24, la nuit, il travaille tout le temps il travaille tout le temps, pour ma femme, pour ma famille, pour moi, pour qu’est ce que je fais, pour tout, pourquoi moi je vis, qu’est ce que je vais faire, j’sais pas plein de trucs, plein plein plein de trucs. J’sais pas jusqu’a quand, ça va finir quand ça ? Tu vois, j’ai envie de faire du sport, j’ai envie de faire machin et machin, quand je sors j’ai envie de m’occuper de ma femme, je reste avec elle, je vais avec ma fille tu vois, j’ai une petite fille, j’ai envie de rester avec eux. J’ai envie de.. je vais bien, j’sais pas j’ai envie de faire les problèmes. J’sais pas, j’arrive pas j’arrive pas. Ils nous laissent pas tranquilles, j’sais pas ils me voient, j’sais pas, on dirait j’suis un diable moi, j’ai rien fait, ils me ramènent ici parce que j’ai pas de papiers.
*
-Tu m’as dit que c’était pas le première fois que tu étais envoyé en centre de rétention ? 
A Hendaye, la première fois c’était à Hendaye, tu connais ? Hendaye j’ai fait là bas un mois. Appelleles demande si tu veux. Après, après je suis chez moi, ils ont ramené moi ici à Grenoble, alors à Lyon ici j’ai fait trois mois. Cette fois là, presque déjà un mois et demi, tu vois.
*
-D’accord, et tu m’as dit que t’aimerais bien voir un psychologue c’est ça ?
Ouais j’aimerais bien, j’aimerais bien je parle avec lui toute la journée, je vide tout. Quand j’écoute personne il parle, j’ai pas envie d’écouter les gens, ils parlent, mais personne personne personne … J’ai envie de voir ma femme, mon psychologue c’est tout. Elle me manque trop ma femme tu vois, je sais pas j’ai envie de dormir avec elle, j’ai envie de voir un psychologue, comme ma mère, j’ai jamais vu, j‘ai que l’amour tu vois. Ya que avec elle, tu vois, même avec ma famille, j’ai pas de famille, j’ai rien, je veux être avec elle je l’aime trop tu vois. J’ai envie de voir un psychologue, je sais pas j’ai pas envie de parler avec les gens, j’ai trop mal à la tête, j’sais pas même la télé là je regarde la télé mais je peux pas me concentrer avec la télé, je regarde la télé mais je suis dans le vide j’suis ailleurs tu vois mes yeux dans la télé mais moi j’suis ailleurs tu vois. J’arrive pas à me concentrer avec la télé, ça fait presque .. ça fait deux ans je suis comme ça. Tu vois je mets un film, tout le monde ils sont concentrés avec le film, moi je regarde des films comme ça mais … mais dans le vide tu vois. J’suis pas là, j’suis ailleurs, j’suis ailleurs dans un autre monde avec les cachets et avec machin donc je sais pas … j’sais pas ! Je sais pas ce que je dois faire je sais pas. Dieu il va décider c’est lui tu vois je fais ma prière, moi, tout le temps, j’suis à l’heure, je fais ma prière, je suis tranquille, mais je sais pas Dieu il … il va me faire quoi, lui, d’ici tu vois. Moi j’ai confiance en lui, j’sais pas lui il va décider pour tout mais je sais pas jusqu’à quand, je te jure, je te mens pas, je te mens pas je te mens pas, j’en peux plus. J’ai envie de sortir, j’ai envie de voir un psychologue, je sais pas, j’ai envie de rester solo tu vois, j’ai envie de calme, le calme tu vois, j’en peux plus qu’est-ce que j’ai fait dans ma vie, qu’est ce que je sais pas qu’est ce qu’ils ont fait de moi. La police ils ont fait trop de mal à moi ici en France, ils ont tapé moi, ils ont cassé mes mains, ils ont tapé moi tapé moi, jamais de la vie, jsais pas, ils ont tapé moi comme ça tu vois. La police ils me tapent, déjà la vie elle m’a tapé, j’ai rien, je sais pas, je souffre, des fois je dors pas la nuit. En plus ça, en plus centre, en plus j’sais pas en plus plein de trucs .. en plus je sais pas des fois … j’suis fatigué j’arrive plus parler, je te jure,  j’ai envie de parler, plein de trucs mais j’arrive plus, j’arrive plus parler tu vois.
Je sais pas qu’est ce que je vais faire c’est tout. Moi j’ai peur de personne, marque mon nom marque mon prénom, je suis avec vous, eux je sais pas qu’est ce qu’ils vont faire, moi j’ai le jugement le 19, je sais pas, je sais pas moi qu’est ce que je vais faire. Si ils me libèrent ça ça serait trop bien tu vois. J‘ai envie de reposer, j’ai envie de prendre rendez vous avec l’assistant social, je veux faire un avocat, je vais faire les démarches, j’ai envie de faire plein de trucs tu vois. C’est tout à part ça je sors pas d’ici. Même eux ils me disent monsieur t’as 7 jours et tu quittes la France, je dis d’accord, je reste ici je quitte pas la France, j’aime la France moi, j’aime la France je reste ici, je te mens pas.
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-Est ce qu’il y a d’autres personnes qui sont au courant que il y a un personne qui s’est suicidée dans le CRA ou pas ? 
Oui ils sont pas contents, même eux, ils sont pas contents, ils ont dit « on brûle le centre ! on brûle le centre » moi je veux pas faire ça, moi je dors, si quelqu’un il fait ça moi je dors la nuit, je sais pas, je meurs avec eux, moi? Tu vois, je suis contre ça, tout le monde ils sont pas contents, ils sont pas contents tout le monde, ils sont pas contents ils sont pas contents.
Mon pote il est là à côté de moi, il parle pas français. il est choqué, il est trop choqué. Il est trop choqué, il a vu le mec, comment il est mort… Tu vois on est tous… on est pas bien tu vois. C’est tout. Je sais pas moi… Je vois que le grillage, j’vois rien moi, même le ciel je le vois pas.
Là j’appelle l’infirmière, j’appelle la police, pour, j’sais pas… je dis « là je suis malade, j’ai mal aux dents, j’sais pas, j’ai envie d’un traitement… » et ils me crachent au nez tu vois. Ils m’insultent, ils me disent va te faire foutre, je sais pas, machin. je sais pas. tout le monde dans le bloc ils sont pas contents. Dans tout le bloc, tout le CRA tu vois, pour lui, ils sont pas contents.
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– les gens ils demandent quoi?
 ils demandent, je sais pas… y’en a ils veulent changer de bloc, l’autre il demande pourquoi il a fait ça, pourquoi, j’sais pas… ça se fait pas lui ce qu’il a fait, moi-même j’peux pas faire ça. même j’en ai marre, même je suis au bout, je peux pas faire ça. mais les gens ils ont dit j’sais pas, tout ça pour les papiers, on est enfermés, tout ça parce qu’on a pas de papiers. tout ça parce qu’on a pas de papiers. les mecs ils sont morts, y’a pas que lui hein. y’a des gens tous les jours ils coupent… l’autre il coupe ses veines, l’autre il déchire j’sais pas, il va couper ses mains, l’autre il va faire un truc, l’autre il a la lame, il va couper le cou… tous les jours plein de trucs ici, tous les jours, tous les jours. Dès que tu parles avec la police ils te ramènent en isolement. c’est ça, c’est que ça.
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– est-ce que tu sais si y’a d’autres personnes qui auraient envie de témoigner?
ouais y’en a tous, ils sont avec moi, t’inquiète. mais en fait il parle pas français lui, il est avec moi dans la chambre, tu vois il m’a dit « viens on fait une solution, viens on fait une bagarre, comme ça ils nous changent de bloc la police tu vois ». j’ai dit à lui « comment? tu veux que toi et moi on va dans un autre bloc? on peut pas… ». on fait un cinéma moi et lui comme quoi on va faire bagarre moi et lui, comme quoi la police il me change moi et lui. parce que je peux pas, sa chambre elle est… jusqu’à maintenant elle est vide tu vois. personne il rentre là bas. personne il rentre, tous ils ont peur. ils ont peur, ils ont peur. comme moi quand j’ouvre la porte, je regarde sa place, je regarde comment je l’ai vu la première fois. je sais pas je dis putain putain putain putain j’comprends rien, j’comprends rien, j’comprends rien. moi je suis trop trop trop trop trop trop choqué. j’ai oublié le problèmes que j’ai. ma femme elle est enceinte, tous les jours elle pleure, elle pleure. puis j’sais pas, moi non plus, j’ai vu ça, mais j’sais pas… j’comprends rien du tout. j’comprends rien du tout, j’te mens pas.
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– merci d’avoir bien voulu faire ce témoignage.
y’a pas de souci, y’a pas de problème, je suis là, tu m’appelles quand tu veux, t’appelles sur le fixe si il faut, tu demandes Samy, j’suis là. je suis avec vous, je suis contre ça moi, j’suis contre ça. moi je vois quelqu’un il va faire ça, je le laisse pas faire ça tu vois. moi je regrette, c’est pour ça, je me dis pourquoi je l’ai pas ramené avec moi dans la salle à manger tu vois, même il mange pas il reste avec nous, si jamais… j’ai pas pensé ça. parce que avant… il m’a dit je vais trouver une solution demain mais… je lui ai dit « c’est quoi une solution », il m’a dit « je vais trouver une solution avec eux » tu vois. mais moi j’ai pas pensé ça! j’ai pas pensé ça. lui il a fait ça… j’ai trop mal au cœur pour lui, ça m’a choqué. ça va pas… je vais rester toute ma vie je pense à lui, j’oublie pas ça de toute ma vie. j’oublie pas ça de toute ma vie. au bled j’ai pas vu ça, partout j’ai pas vu ça. j’ai vu ça au CRA, au centre, à Lyon. j’te mens pas. qu’est-ce que j’ai vu ici… c’est horrible. c’est grave c’est grave c’est grave c’est grave c’est grave.
C’est tout, j’espère qu’ils vont me libérer, j’sais pas. j’en peux plus des prisons, des centres, des prisons, des centres. j’en peux plus de ça. je suis fatigué, j’ai envie de faire une vie… je demande rien tu vois. je demande un travail, je demande juste avec ma femme, je reste tranquille. les gens ils me donnent un travail, je travaille moi! juste je travaille tranquille, ma femme, c’est tout tu vois. je veux que ça, mais je sais pas… on va voir.
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témoignage téléphonique du 5/01/2023.