« Ok, y’a pas de problème. » Témoignage de A., prisonnier du Centre de rétention administrative de Lyon.

« Comment ça s’est passé pour moi, je suis allé en prison, je suis venu jusqu’ici, et ce que je suis en train de vivre… là pour moi, tout est important.

Pour commencer, je suis venu le 15 juin 2019 en France. Donc du coup, le 18 je suis parti à la Plateforme d’Accueil des Demandeurs d’Asile, l’ADA1 de Grenoble. Je suis parti là-bas pour me présenter, c’est-à-dire pour prendre un rendez-vous à la préfecture pour ma demande d’asile. Le 18, arrivé là bas, j’ai fait un entretien avec les gens de l’ADA, ils m’ont pris un rendez-vous pour la préfecture de Grenoble. Je devais me présenter là bas le 27 juin. Le 27, je me suis présenté au GUDA2 de Grenoble, l’agent de la préfecture a relevé mes empreintes, après elle m’a dit : « Bon, Monsieur, on va vous placer en procédure qu’on appelle la procédure Dublin ». Comme moi je ne comprenais pas trop cela, je n’arrivais pas à me comprendre avec l’agent de la préfecture, je lui ai dit : « Je vais demander des conseils à mon avocat. » Je lui ai demandé de me donner le document, elle m’a dit non, elle va garder la convocation, et ils vont garder aussi mes photos, et garder aussi mes empreintes. Alors je lui ai dit : « Ok, y’a pas de problème, donc je vais retourner à l’assoc’, je vais parler avec eux comme ça ils vont m’orienter vers une avocate pour demander conseil. » Elle a dit : « Ok, y’a pas de problème », du coup je suis sorti de la préfecture.

Je suis parti à l’association, l’association m’a orienté vers une avocate. Donc je suis allé, je lui ai demandé, je lui ai expliqué quand je suis allé à la préfecture comment ça s’est passé là-bas. Elle m’a fait comprendre que bon y’avait pas de problème, que je pouvais repartir prendre un nouveau rendez-vous à la préfecture. Elle m’a demandé quel était mon projet en France, je lui ai expliqué, que j’étais en France pour continuer à faire mes études, et pouvoir rester ici pour vivre quoi, faire ma vie ici, pouvoir travailler et faire ma vie ici quoi. Donc elle m’a dit : « Ok y’a pas de problème, voilà ce qu’on va faire : vous allez partir Monsieur, vous allez essayer de prendre un autre rendez-vous, comme ça même si on arrive à vous placer sous la loi qu’on appelle Dublin, on va essayer de voir si le juge va vous maintenir ici. On va essayer de faire un recours, pour voir si on va pouvoir vous maintenir ici pour que la France puisse s’occuper de votre demande d’asile. » Je lui ai dit : « Ok y’a pas de problème ». Du coup le 5, je suis retourné à l’ADA, ça c’était le 5 juillet, je suis parti là-bas, donc on m’a dit de revenir le 11. Le 11, je devais retourner là-bas pour reprendre les entretiens et prendre un rendez-vous pour la préfecture encore. Quand je suis parti le 5, on m’a dit de revenir le 11.

Sauf que la nuit du 8 juillet, j’étais avec un collègue à moi, on partait dans une épicerie de nuit, on s’est fait arrêter par une voiture, qui dit que c’était des policiers. Ils nous ont dit : « Messieurs, police » et du coup on s’est arrêtés et on a demandé si y’avait un problème et ils ont dit oui, ils ont dit : « Vers 23 heures, il y a un couple qui s’est fait agresser par des personnes de type africain. » Nous, on leur a dit : « Là il est 2 heures du matin, nous on veut juste aller chercher des bières, on sait pas ce qui s’est passé là-bas, si y a un problème, peut-être vous pouvez appeler les gens qui ont été victimes, voir s’ils peuvent dire si c’est nous ou pas. » Donc ils ont dit : « Messieurs, on va aller au poste de police. C’est comme on vous a dit, il y a un couple qui s’est fait agresser. » « Ben non, vu qu’on vous a dit plusieurs fois que c’était pas nous ! » Ils ont insisté une seconde fois, finalement on est montés dans la voiture et on est partis. Donc ils nous ont ramenés là-bas, on y a passé la nuit.

Le lendemain, moi j’ai été appelé par l’OPJ3 pour mon audition. Quand je suis arrivé là-bas, il m’a demandé qu’est-ce qui s’est passé. Je lui ai expliqué comment ça s’est passé la nuit, je lui ai dit que moi j’étais avec un copain, à 2 heures du matin je partais dans une épicerie de nuit pour essayer d’acheter des bières, et du coup y’a une voiture de police qui nous a arrêtés, sous prétexte qu’il y a un couple qui s’est fait agresser par deux personnes de type africain dans le parc. Donc après il m’a demandé : « Où vous étiez à 23 heures ? » Je lui ai expliqué, donc, que j’étais avec des amis, je lui ai expliqué la même chose que je vous ai dit. Il a dit : « Ok Monsieur, y’a pas de problème, on comprend que c’est pas vous, mais alors du coup vous êtes en situation irrégulière sur le territoire français. » Je lui ai dit : « Non Monsieur, je ne suis pas en situation irrégulière. Quand je suis arrivé ici le 15, le 18 je me suis présenté directement à la la Plateforme d’Accueil des Demandeurs d’Asile, on m’a dit que j’avais 45 jours pour poser ma demande d’asile sur le territoire français. Donc du coup j’ai automatiquement pris un rendez-vous pour le 27. » Je lui ai même montré la convocation et tout ça, je lui ai dit : « Vous voyez les documents, le 27 j’étais là-bas, le 27 juin. Donc là, le 5 juillet je suis parti là-bas pour prendre rendez-vous, et je dois partir le 11 juillet pour aller prendre le rendez-vous pour la préfecture. Donc je suis en train de faire ma démarche administrative. » Il a dit : « Ok, y’a pas de problème. Depuis combien de temps vous êtes sur le territoire français ? » Je lui ai expliqué ce que j’ai dit, ça fait trois semaines, bientôt un mois, que je suis là. Il a dit : « Ok, y’a pas de problème. » Il a dit : « Quelles sont les raisons qui vous ont poussé à quitter votre pays ? » Je lui ai expliqué les raisons qui m’ont fait quitter le pays. Après il a mentionné ça, il m’a dit : « Ok, y’a pas de problème, on va continuer à vous garder là-bas, et après on viendra vous chercher, et on va emmener le dossier chez le juge, et le juge va décider qu’est-ce qu’il va faire. »

Donc du coup on m’a retourné dans la préfecture4 et on a continué à me garder là-bas. À 18 heures, on m’a appelé, on m’a dit : « Monsieur, on va vous notifier la fin de votre garde-à-vue. Vous avez une convocation au tribunal pour cette affaire de la nuit là », et il dit : « Mais à côté aussi vous avez une OQTF5 et une Interdiction de retour sur le territoire français pendant 2 ans. Mais si vous voulez contester cette mesure, vous pouvez aller voir un avocat, pour dire que vous n’êtes pas d’accord, et l’avocat va faire un appel. » Je lui ai dit : « Ok, y’a pas de problème », parce que moi je ne comprenais pas trop ce que cela voulait dire. J’ai dit :  « D’accord, y’a pas de problème », j’ai pris le dossier, je suis parti à l’association qui s’occupe de notre demande d’asile, je leur ai montré, j’ai dit : « Vous savez, le 11 je devais venir ici pour prendre mon rendez-vous pour la préfecture. Mais du coup on m’a donné une obligation de quitter le territoire, sans délai de départ volontaire, avec une Interdiction de retour pendant une durée de 2 ans. » J’ai dit : « Mais je comprends pas. » Après, on m’a dit d’aller chez l’avocate pour faire l’appel pour les 48 heures.

 

– C’était à Lyon l’association ?

Non c’était à Grenoble. C’est quand tu descends la rue de Stalingrad. L’association se trouve là bas. C’est l’ADA. Tout le monde connaît l’ADA, c’est la plateforme d’accueil des demandeurs d’asile. Tous les demandeurs d’asile majeurs sur Grenoble, ils passent à l’ADA, c’est l’ADA qui fait les entretiens, après ils prennent tout de suite un rendez-vous pour nous à la préfecture. Donc on se rend après à la préfecture. Le lendemain, quand on prend le dossier, le récépissé, on revient encore à l’ADA pour faire une domiciliation, comme ça tous les courriers de la préfecture, on vient les récupérer là-bas. Donc je suis parti, on m’a orienté vers une avocate. L’avocate m’a dit : « Ok, y’a pas de problème, on va faire le recours, mais ce que je ne comprends pas, c’est pourquoi la préfecture vous a donné une interdiction, alors que vous venez d’arriver, vous avez à peine fait 3 semaines, vous n’avez même pas encore fait un mois, alors que vous avez 45 jours pour déposer votre demande d’asile. » Elle a dit : « On comprend pas mais on va essayer de faire une demande d’asile. »

Et vous savez, le lendemain, il y a un article qui est sorti dans le Dauphiné, c’est-à-dire deux heures après, la même nuit, des personnes de type africain ont été arrêtées suite à une agression à l’encontre d’un couple. En fait les personnes ont fait une comparution immédiate et ont été directement condamnées pour des peines de six et huit mois de prison. Donc du coup je lui ai montré, je lui ai dit : « Maître, vous voyez, ce sont les mêmes faits qui m’ont été reprochés hier nuit », je lui ai dit : « Vous voyez, tout de suite après qu’on nous a emmenés en garde-à-vue, ils ont attrapé des personnes pour les mêmes faits. Alors qu’on leur avait expliqué que nous on ne connaissait pas, on ne savait même pas qu’est-ce qu’ils étaient là à expliquer quoi, on leur a dit que nous on partait juste dans une épicerie de nuit pour essayer de prendre des boissons. » Elle a dit : « Oui mais c’est pas possible qu’il y ait une même condamnation pour des personnes différentes. » Je lui ai dit : « Oui, c’est ce que je ne comprend pas. » Elle a dit : « Bon, là il faudra que l’on voie nous-mêmes et le préfet va vous expliquer qu’est-ce qu’il se passe pour ça. » Donc on a fait le recours dans les délais de 48 heures, donc l’audience devait se tenir le 25 septembre. Donc moi je ne pouvais plus faire une demande d’asile, j’avais une OQTF qui était là sans délai de départ volontaire, je ne pouvais plus poser une demande d’asile, donc j’étais bloqué quoi. Il fallait attendre l’audience pour pouvoir faire une nouvelle demande d’asile. Et par ailleurs, je ne pouvais pas être éloigné tant que je n’avais pas encore la décision du tribunal administratif par rapport à ce recours-là. Donc je suis resté comme ça à Grenoble, je suis resté à attendre le jugement pour le 25 septembre.

Au mois de septembre, c’était le 8 septembre, j’étais avec mes collègues, nous étions venus prendre le tram, pour rentrer à la maison pour essayer de se faire à manger, il était 21 heures, et il y a eu des disputes dans le tram. Comme il y a eu des disputes dans le tram, ils ont appelé les policiers. Les policiers sont venus, ils nous ont trouvés dans le tram. J’étais avec mes amis, mes collègues, nous étions trois personnes. Ils ont demandé les papiers, mes collègues c’étaient des demandeurs d’asile, ils ont montré les récépissés, la police les a laissés partir. Ils m’ont demandé si j’avais des papiers, je leur ai donné la convocation du mois de juillet qui m’avait été notifiée. Je leur ai montré les papiers que j’avais, les papiers de l’ADA et tout ça, je leur ai dit que j’attends l’audience, que je suis en train de faire mes démarches administratives. Mais là pour l’instant, j’attends d’abord la décision du tribunal pour faire quoi que ce soit. Ils ont dit : « Monsieur, là, on va essayer de vous ramener au poste », ils ont dit : « Embarquez-le ». Ils m’ont embarqué, ils m’ont envoyé au poste et ils ont libéré mes amis, parce que moi, à défaut de récépissé, à défaut de papiers, on m’a embarqué, ils ont libéré les autres.

On m’a envoyé au poste de police, on m’a demandé qu’est-ce qui s’est passé dans le tram, j’ai expliqué. Après, ils m’ont dit que les policiers ont ramassé quelque chose à l’arrêt de tram, c’était un petit couteau. Et ils ont dit que ouais, que comme moi j’étais à l’arrêt de tram avec mes collègues, donc le petit couteau là nous appartenait. Qu’est-ce qu’on fait avec ça ? J’ai dit : « Moi je ne mange même pas avec un petit couteau, qu’est-ce que je vais faire avec ça ? Un petit couteau comme ça, ça m’appartient pas. » Ils ont dit : « Monsieur, vous savez que le port d’arme blanche est interdit ? » J’ai dit : « Mais ça ne m’appartient pas ! Qu’est-ce que vous voulez que je vous dise ? C’est pas pour moi ! Si  la police a ramassé quelque chose à l’arrêt de tram, comment vous voulez dire que ça, ça m’appartient ou ça appartient à un ami à moi ou quoi que ce soit ? Il y a plein de monde qui va dans les arrêts de tram ! » Ils peuvent pas ramasser quelque chose là-bas en disant que ça, ça m’appartient ou appartient à quelqu’un d’autre. J’ai dit : « Moi je connais pas ce qu’ils sont en train d’expliquer ». Ils ont dit : « Ben Monsieur, c’est le magistrat qui va déterminer votre situation. » J’ai dit : « D’accord, y’a pas de problème. »

Du coup, on m’a gardé là-bas, 48 heures de garde-à-vue. Je suis parti pour une comparution immédiate. Je suis venu là-bas [au tribunal], vous savez, pour les faits du 8 juillet, vous vous souvenez ? Pour ma première garde-à-vue. Et pour la deuxième là. Donc j’ai été jugé et condamné pour six mois de prison, alors que y’avait des personnes qui sont encore en prison pour le premier fait, là, pour ma première garde-à-vue. Des personnes qui ont causé ces affaires, des personnes dont les termes ont été reprochés, sont en prison pour les mêmes faits quoi. J’ai été condamné pour six mois. Pour ces faits-là, et pour port illégal d’armes. Le petit couteau qui a été retrouvé par les policiers à l’arrêt de tram, qu’ils ont pris, qu’ils ont ramené à la police en disant qu’ils ont ramassé ça à l’arrêt de tram où moi j’étais là-bas.

Donc je suis parti en prison le 10, à partir du 10 septembre 2019 j’étais incarcéré. Le 25, je devais attendre mon audience. Donc je suis resté en prison, j’attendais toujours le jugement pour le 25. On m’a orienté vers ma conseillère pénitentiaire d’insertion et de probation. Je leur ai demandé, j’ai dit : « J’attends une audience pour le 25, par rapport à ma situation administrative. » J’ai dit : « Moi je suis demandeur d’asile, comment ça va se passer ? Et est-ce que je peux faire une demande d’asile après l’audience ? » Elle m’a dit : « Non, tant qu’on ne connaît pas encore votre situation par rapport au jugement, Monsieur, malheureusement, on ne peut rien faire. » Je lui ai dit : « D’accord, y’a pas de problème. »

Donc le 25 septembre, l’audience s’est tenue, la requête a été rejetée. Lorsque la requête a été rejetée, j’ai appelé mon avocate, je lui ai demandé, j’ai dit : « C’est comment le jugement ? » Elle m’a dit : « Malheureusement, le jugement a été rejeté. Mais on va faire un recours, on va interjeter l’appel pour faire un recours au niveau du Tribunal Administratif de Lyon. » Elle a dit : « Tu vas essayer de voir la SPIP6, elle va te faire signer un dossier d’aide juridictionnelle. » Je lui ai dit : « D’accord, y’a pas de problème. » Donc j’ai signé le dossier d’aide juridictionnelle, elle a fait le recours pour moi. Actuellement, le recours il est toujours là, au niveau du Tribunal, y’a pas encore eu de jugement là-dessus. Donc je suis resté comme ça en prison, je ne pouvais pas faire de demande d’asile. J’ai demandé à la SPIP qui disait que c’était pas possible, il faut attendre pour voir où en est ma situation administrative.

Donc le 17 octobre, j’ai été transféré de la Maison d’arrêt de Varces pour le Centre pénitentiaire de Villefranche. Je suis resté au Centre pénitentiaire de Villefranche du mois d’octobre jusqu’au 25 janvier 2020. Mais le 9 janvier 2020, j’ai reçu un parloir avocats, un agent de la préfecture qui est venu me voir. Elle m’a trouvé et elle m’a dit : « Monsieur, en fait je travaille pour la préfecture du Rhône. C’est eux qui m’ont envoyé, ils voulaient vous entendre pour vous écouter, quoi, parce que le Préfet, suite à l’interdiction qui vous a été notifiée le 9 juillet par le Préfet de l’Isère, il veut vous éloigner, il veut vous mettre en centre de rétention pour pouvoir vous éloigner. » Elle dit : « Qu’est-ce que vous en dites ? » Donc je lui ai expliqué, je lui ai dit : « Madame, moi je suis venu ici pour faire une demande d’asile. » J’ai dit : « Dès que je suis venu, on m’a donné une OQTF, et j’ai fait le recours pour pouvoir toujours continuer à faire ma demande d’asile. » J’ai dit : « Actuellement, le recours il est au niveau du Tribunal Administratif de Lyon. » J’ai dit : « Moi je vous ai dit que je ne peux pas rentrer au pays, car ma vie elle est menacée, elle est en danger là-bas. Je peux pas retourner dans ce pays là. » J’ai dit : « Mais si toutefois, après ces recours-là, si Monsieur le Préfet ne souhaite pas que je pose une demande d’asile ici, je peux retourner en Espagne, ou lui-même il peut me mettre dans un vol ou je ne sais quoi, pour que je retourne en Espagne, il y a pas de problème. Pour que je puisse continuer ma demande d’asile là-bas, parce que je suis venu par là-bas. Mais pouvoir dire que je vais aller au pays, je peux pas rentrer dans mon pays. Je peux pas retourner, je peux pas me mettre dans un vol, aller en direction d’un pays où je vais perdre tout de suite ma vie à l’arrivée à l’aéroport. Je peux pas faire ça. » Donc il a écrit ça, j’ai signé. Il m’a demandé si j’étais malade et tout ça. On m’a fait le point sur mon état de santé, elle a mentionné ça aussi. Elle est repartie.

Le 25 à ma levée d’écrous, l’agent de la préfecture est venu me voir, il a dit : « Monsieur, suite à l’interdiction qui vous a été notifiée, Monsieur le Préfet a décidé de vous mettre en rétention. Il dit : « Vous avez 48 heures pour faire appel à cette décision. » J’ai dit : « Mais je ne sais pas dans quelle langue je vais décider de parler. Le 9 j’ai reçu au parloir avocats un agent de la préfecture. Je vous ai dit que je suis en situation de demande d’asile. Je ne peux pas retourner dans mon pays. Si Monsieur le Préfet veut me mettre en rétention y a pas de problème, je vais retourner en Espagne. Je ne suis pas contre sa décision. C’est normal, c’est lui qui sait. Mais si toutefois il veut pas que je sois dans une situation de demande d’asile moi je vais partir, c’est pas un problème. Mais ce que je dis c’est que je ne peux pas partir en Guinée. Je ne peux pas retourner dans ce pays-là où ma vie est menacée, où ma vie est en danger, où je peux perdre ma vie tout de suite là, dès mon arrivée à l’aéroport. C’est pas possible quoi. » Il a dit : « Mais Monsieur vous pouvez contester cette décision-là, arrivé au centre de rétention. » Je lui ai dit : « Ok, y a pas de problème. » Comme je le connais pas, j’étais là y avait les gendarmes et tout ça, je suis monté, on m’a menotté, je suis venu en centre de rétention.

Arrivé au centre, tout de suite je suis parti voir Forum7 pour essayer de contester cette décision. Donc Forum a fait une requête pour moi. Deux jours après je suis parti au Juge des Libertés et de la Détention. Le Juge des Libertés m’a dit : « Monsieur, malheureusement les avocats sont en grève. Vous ne pouvez pas avoir d’avocat, et si vous ne souhaitez pas être jugé aujourd’hui, on peut renvoyer à demain, mais ça n’aura changé à rien, demain de toute façon vous serez jugé de la même façon. » Je lui ai dit : « Ok, y a pas de problème. » Je lui ai dit : « Je souhaite le renvoi du jugement jusqu’à demain, comme ça, comme il n’y a pas d’avocat, que je puisse voir mes dossiers bien, pour regarder mes dossiers. » Donc on m’a rendu mes dossiers et je suis venu ici, regarder mes dossiers. Je suis parti à Forum, j’ai regardé avec eux. J’ai lu et regardé le dossier. J’ai dit : « Il y a plein d’erreurs dans mes dossiers, on me juge, mais c’est-à-dire c’est comme si c’est pas la personne là qui est en face qu’on est en train de juger. Vous imaginez ? Regardez tout ce qui est écrit. “Monsieur tel, il a fait un an sur le territoire français, il ne peut pas justifier ses moyens de subsistance. Donc suite à ça on lui met une OQTF. Le comportement de Monsieur est une menace à l’ordre public.” » J’ai dit : « Mais attendez, c’est quoi ça. » J’ai dit : « Mais attendez c’est pas ma personne qu’ils sont en train de juger dans ce document-là. » Je parle comme ça avec les gens de Forum. Je dis : « Ils sont totalement à côté de la plaque ! C’est pas ma personne ! » Ils m’envoient en prison pour défaut de papiers. C’est-à-dire je fais la prison de personnes déjà qui sont encore en prison. On me renvoie en centre, on met plein d’erreurs dans mes dossiers, pour me juger avec ça. Mais je dis : « C’est pas possible. »

Donc j’ai appelé les associations qui sont dehors, les associations qui s’occupent de nos demandes d’asile et tout ça quand on vient sur Grenoble. J’ai appelé l’ADA. La maison des associations ça s’appelle ADA. L’Accueil des demandeurs d’asile. Ça se trouve à la caserne de Bonne. Donc j’ai appelé, il y a une femme là-bas qui s’appelle Sophie8, je l’ai appelée, j’ai discuté avec elle. Elle m’a dit : « Mais la préfecture te connaît bien. C’est la mauvaise foi de la préfecture pour pouvoir te garder là-bas et continuer vraiment à te faire chier. » J’ai dit : « Oui, mais moi je comprends pas pourquoi ils continuent toujours à me garder, à vouloir me bloquer par rapport à ma demande d’asile et autres choses. » Après elle m’a ramené tous les documents que j’avais quand j’avais fait des démarches là-bas. J’ai appelé aussi l’ADA, qu’ils me prennent des rendez-vous, ils m’ont ramené les convocations et tout ça à la préfecture. C’est-à-dire pour aller faire ma carte vitale, pour ma domiciliation et tout ça. On m’a envoyé tout ça.

Donc le lendemain je suis parti [au tribunal], on m’a prolongé de 28 jours. J’ai essayé de parler mais le juge m’a pas écouté. J’ai fait un appel pour aller à la Cour d’appel. À la Cour d’appel, la décision a été maintenue. Ils ont dit qu’il n’y a pas d’irrégularité dans la décision qui a été rendue par le Juge des Libertés et de la Détention. Donc quand je suis revenu, je leur ai dit : « Ok, est-ce que je peux continuer alors à faire ma demande d’asile ? Parce que j’étais en train de faire ma demande d’asile dehors. » Ils m’ont dit : « Oui y a pas de problème c’est votre droit de faire la demande d’asile. » Du coup j’ai fait la demande d’asile. Le cinquième ou sixième jour, j’ai été convoqué par l’OFPRA9.

L’OFPRA c’est dans une petite chambre ici. C’est en vidéoconférence. C’est direct, c’est une caméra, je suis là, y a un officier de l’OFPRA qui me pose des questions. Je lui explique ma situation et tout ça. Donc on a fait une vidéoconférence. Donc après, ils m’ont dit d’attendre trois ou quatre jours. En principe on m’avait dit c’est 96 heures la réponse. Donc j’ai attendu. Après la requête a été rejetée. Donc j’ai fait un recours au niveau de la CNDA10 parce qu’on m’avait dit que j’avais un mois pour pouvoir faire un recours par rapport à cette décision de l’OFPRA. Du coup j’ai fait un recours au niveau de la CNDA. Mais quand j’ai fait la demande d’asile, Monsieur le Préfet m’a notifié que malgré que j’aie fait une demande d’asile, qu’il va continuer toujours à me maintenir en rétention. L’examen de ma demande d’asile et tout ça, à faire ici. Que j’ai fait la demande d’asile juste pour faire un obstacle à la demande d’éloignement. Donc j’ai contesté cette décision. Parce que c’est une situation qui n’était pas tout à fait… C’est pas fondé, c’est pas motivé, c’était pas vrai ! Donc je leur ai amené tout le dossier, j’ai mis tout le dossier, j’ai contesté cette décision, nous sommes allés au Tribunal Administratif. Le juge il a vu tout. Il a vu toutes les preuves. Toutes les preuves qui étaient là, que vraiment le Préfet lui-même en personne était dans des erreurs. Il est dans les erreurs. Sincèrement quoi ! C’est pas parce que c’était Monsieur le Préfet… oui il a le pouvoir. Mais c’est un être humain comme tout le monde ! Il fait des erreurs, il était dans des erreurs. Et ma requête a été rejetée. Donc je leur ai dit : « Mais je comprends pas pourquoi ils continuent toujours à me garder en rétention. » Du coup le recours que j’ai fait au niveau de la CNDA, j’ai reçu ma lettre d’enregistrement de la CNDA. Donc là j’attends une nouvelle date d’audience.

Quand j’ai récupéré la lettre d’enregistrement je suis allé directement voir l’association Forum. Je leur ai expliqué, il y a un travailleur là-bas qui m’a dit, même avec cette lettre d’enregistrement ça n’empêche pas la préfecture de m’éloigner. Je leur dis : « Mais si toutefois la préfecture m’éloigne, le jour de l’audience, qui est-ce qui va me représenter ? » Il m’a dit c’est un avocat. C’est mon avocat qui s’est occupé du recours. J’ai dit : « Et si l’avocat qui me représente est là-bas, et si ce jour-là ils arrivent à me donner le statut de réfugié, ils m’accordent la protection, alors que moi je ne suis pas là, que je suis… éloigné dans un pays qui est en guerre. Où ma vie elle est en danger. Où… j’ai tout expliqué. Comment moi je vais faire à ce moment-là ? » Il a dit : « Vous reprenez un visa, vous revenez. » J’ai dit : « Arrêtez de prendre les gens pour des fous ! » J’ai dit : « Vous, travailleur de Forum, qui êtes là à m’expliquer des choses comme ça ? Mais tu imagines ce que tu m’expliques ? Hein ? Aller dans un pays qui est à la limite de la guerre civile là, où il y a la guerre ethnique, où ma vie elle est menacée, elle est en danger, je vais là-bas et je dois être représenté par un avocat, et si je suis reconnu réfugié comme ça, moi je vais prendre un visa pour revenir ? Mais attendez ? Vous prenez les gens pour des personnes qui ne connaissent rien ? C’est pas possible. » Du coup je suis sorti là-bas, je suis revenu. Du coup je suis dans cette situation jusqu’à présent. J’attends encore, je ne sais pas… ce que la préfecture va dire par rapport au recours que je dois faire. Parce que je suis en attente d’une date d’audience. Pour voir comment ça va se passer quoi.

Voilà pour l’instant je suis au centre de rétention. Maintenant je vois qu’ici bon, les droits des personnes sont violés. Pour moi ici le droit, on dit que juste les gens ils ont des droits mais c’est pas possible, c’est pas vrai. C’est qu’ici, quand la préfecture elle a décidé vraiment quelque chose, même si tu es dans la vérité, même si tu es dans la raison, en fait t’as pas raison. C’est Monsieur le Préfet, c’est lui qui a le pouvoir. Il a la force. C’est lui qui décide en fait. C’est que pour toi, t’as pas la parole quoi. C’est-à-dire il faut que tu acceptes ce qui est là. C’est ce que je vois.

 

– Tu veux nous parler de comment c’est dans le centre, la vie là-bas, les conditions ?

En fait le centre c’est n’importe quoi. C’est-à-dire que ici, c’est pire que la prison. Ils ont juste dit un centre de rétention, mais c’est comme une déchetterie ici. C’est… En fait les gens sont retenus dans des conditions vraiment bizarres. Quelle que soit la façon dont tu expliques ça à quelqu’un, tant que la personne n’a pas l’accès pour venir voir… Si vous comprenez bien, il faut essayer de tout faire pour que vous-mêmes, les associations qui sont là, qui veulent vraiment voir ce qui se passe dans le centre, puissent avoir l’accès pour pouvoir venir à l’intérieur. Pour voir ce qui se passe. C’est tellement bizarre, c’est tellement inhumain les conditions de rétention. C’est… comme on peut même pas expliquer à une personne. C’est-à-dire c’est des tortures psychologiques… C’est pire que la prison ce qui est là. C’est pire que la prison. Disons que c’est du racisme quoi. Je le dis en un mot. C’est quelque chose comme ça. On n’a pas droit à la parole. Il faut s’écraser. Il faut se taire. Tes droits sont bafoués, tes droits sont violés. T’as droit à rien donc tu restes là. Et les policiers quant à eux, ils n’ont qu’un seul mot d’ordre : l’expulsion. Donc t’as droit à rien, t’es qu’un sans-papiers, t’es pire qu’un criminel. T’es vu comme… comme le mal. En fait tout ce qu’on voit en toi c’est le mal. On ne voit pas en toi un être humain qui peut parler. T’as droit à rien. Tu prendras rien. Tu es là vraiment comme étant le pire mal que les gens n’ont jamais connu. On se demande des fois même, tu te demandes : « Je vis dans quel pays ? Je suis dans quel pays ? » C’est comme ça. Est-ce que c’est vraiment la France quand on dit voilà, c’est un pays de libertés, de droits, où la démocratie elle est réelle. Tu te dis, tu te poses même la question. Tu te dis : « Mais c’est vraiment… c’est totalement… c’est paradoxe quoi ! » Ce que tu entends, ce qu’on te dit… Mais c’est pas la France comme ça. Ça c’est pas la France. Ça c’est… c’est complètement, c’est autre chose. C’est comme si on vivait dans un autre pays quoi, ou dans une autre planète. C’est totalement opposé par rapport à ce qu’on dit, comme si on vivait pas en Europe quoi, ou en France. En fin de compte.

 

– Et l’association, elle essaie des trucs pour aider les prisonnièr·es ?

L’association Forum c’est la pire merde qu’ils ont mis ici pour les détenus. Moi quand on me pose la question c’est ce que je vais dire. Ces gens-là, pour moi eux, ce n’est pas une association qui est là, c’est-à-dire pour essayer d’aider les gens dans leurs différentes démarches. Pour moi Forum ici, même les policiers ils vous le disent. Même quand vous discutez avec des policiers eux mêmes ils vous disent, « Forum ne fait rien. » Forum, ils sont là juste, ils ont des mots d’ordre. Ils ont des consignes. C’est-à-dire ils doivent respecter ces consignes-là, ou alors ils vont perdre leur boulot. Ils font rien. Ce sont des gens qui travaillent en quelque sorte pour la préfecture. C’est-à-dire ils font absolument rien. Ils sont là juste pour la forme. Pour ne pas qu’on dise que les gens sont retenus dans des conditions où ils ne peuvent même pas parler. C’est juste une mise en scène, c’est juste de la comédie, c’est rien, c’est pour la forme. On voit, c’est pas une association qui est là. Parce que moi j’ai connu les associations dont je vous parle par exemple, comme l’ADA, l’association des demandeurs d’asile, comme la Cimade, et les autres associations, ça n’a rien à voir avec Forum ! Pour moi Forum c’est pas une association. C’est juste des gens qui sont là pour la forme. C’est des gens qui travaillent pour la préfecture. Ils jouent avec les gens, ils te forcent à faire des requêtes pour te plonger encore plus dans des problèmes. C’est-à-dire ils t’écrivent des requêtes, c’est-à-dire toi tu viens tu te présentes devant le juge. Après le juge t’explique, tu viens tu dis : « Mais attends je n’ai jamais parlé de ça avec Forum. » Tu viens tu demandes : « Monsieur, comment est-ce que vous avez pu écrire des choses comme ça, moi à aucun moment donné je n’ai expliqué ça. » Il dit : « Mais c’est tout ce qu’on peut faire pour vous, y a pas autre chose monsieur. » À un moment donné vous voyez même c’est lui qui vous dit : « Monsieur rentrez dans votre pays. » Mais attendez qu’est-ce que vous dites. Pourquoi vous venez me dire : « Monsieur pourquoi vous ne voulez pas rentrer dans votre pays. » Mais attendez vous êtes qui ? C’est une association ou c’est la préfecture en personne qui est là ? Il dit : « Ah Monsieur nous on peut rien hein, on vous dit ce qu’on peut faire… » Mais si vous ne voulez rien faire, mais il faut partir ! Alors nous on peut pas, vous commencez à discuter, automatiquement c’est la police pour vous dégager. C’est la merde. En fait c’est la merde quoi. Pour moi ici on vit pas en France, ça c’est pas la France. C’est pas vraiment l’image de la France, c’est pas vraiment l’image de la France qui se trouve ici. Ici c’est… C’est bizarre quoi. Pour moi ici c’est autre chose quoi. »

 

* * * * * * * * * * * * * * * *

Quelques jours avant ce témoignage, A. avait été conduit à l’aéroport par les policiers du centre de rétention. Entre 4 heures et 8 heures du matin, il avait attendu seul dans une cellule. Il n’avait ni billet, ni bagages enregistrés. Vers 8 heures, les policiers étaient venus le chercher en lui disant qu’il avait « raté son vol », et que, maintenant qu’il avait refusé une première fois l’expulsion, il serait conduit à son prochain vol sous escorte policière, c’est-à-dire entravé, menotté. Un second refus, quand il est possible, est passible de prison ferme. Une dizaine de jours plus tard, il a été déporté, alors même que ses démarches en justice pour contester son Interdiction de retour sur le territoire français de 2 ans, délivrée illégalement, sont toujours en cours, et qu’il est toujours en procédure de demande d’asile, en attente d’une audience à laquelle il ne pourra pas se rendre.

 

Article paru sur Rebellyon : https://rebellyon.info/Ok-y-a-pas-de-probleme-Temoignage-de-A-22083

 

1. Association Accueil Demandeurs d’Asile.

2. Guichet unique pour demandeurs d’asile, à la Préfecture.

3. Officier de police judiciaire.

4. Il parle peut-être plutôt du commissariat.

5. Obligation de quitter le territoire français.

6. Service pénitentiaire d’insertion et de probation.

7. Forum Réfugiés.

8. Les prénoms ont été modifiés.

9. Office français de protection des réfugiés et apatrides.

10. Cours nationale du droit d’asile.

La justice cerbère des centres de rétention 1 : le juge des libertés et de la détention

[Article paru sur Rebellyon.info]

Le CRA (centre de rétention administrative) constitue l’ultime étape de la répression contre les personnes étrangères pour les déporter de force et s’assurer qu’ils et elles ne vont pas revenir. Le CRA en lui-même ne peut fonctionner seul. Il fait partie d’un système, dont la justice est actrice à part entière.

Les CRA : criminalisation, emprisonnement et déportation

Les centres de Rétention Administrative (CRA) sont des prisons pour les étranger.es auxquel.les on ne reconnaît pas le droit de séjourner en France. Ils sont pensés pour les enfermer puis les expulser hors du territoire français. Le CRA constitue l’ultime étape de la répression contre les personnes étrangères pour les déporter de force et s’assurer qu’ils et elles ne vont pas revenir. Le CRA en lui-même ne peut fonctionner seul. Il fait partie d’un système, réunissant différentes institutions et différent.es acteurs.rices [1], cherchant à emprisonner, isoler, dégoûter torturer et déporter les étranger.es en dehors des frontières. Le « système CRA » s’assure qu’il n’existe aucune faille qui permette aux personnes étrangères de s’en sortir. Un des éléments majeurs de ce système est l’appareil judiciaire, qui légitime la criminalisation des personnes et leur répression en les inscrivant dans un cadre légal.

La justice fait partie intégrante du « système CRA » ; le vocabulaire et les codes qu’elle mobilise aussi. C’est pourquoi nous avons fait ici le choix de ne pas reprendre des termes juridiques forgés dans le seul objectif de cacher le traitement déshumanisant réservé aux personnes sanspapiérisées et de les réprimer. Ainsi nous utiliserons par exemple le terme de prison à la place de la catégorie administrative « rétention », puisque le CRA est bien un lieu d’enfermement pour des personnes criminalisées par la préfecture, le tribunal administratif, et le tribunal de grande instance. La rétention n’a de sens que pour les acteurs.rices qui la pensent et l’appliquent, sans corrélation avec la situation des personnes qui subissent la punition de l’enfermement au motif d’être étrangères.

Nous emploierons également le terme de déportation pour désigner ce que l’administration nomme faussement « mesure d’éloignement » ou « expulsion ». En effet, le terme de déportation désigne le fait qu’un Etat, pour des motifs politiques [racisme], interne des personnes dans des camps [CRA] pour les expulser hors du territoire national dans un lieu de son choix .

1. Déclenchement de la machine à enfermer et déporter

Lorsqu’une personne est arrêtée par la Police et qu’elle est considérée en situation irrégulière, elle est enfermée dans les locaux de la police aux frontières (PAF). Le ou la préfet.e peut alors décider de son emprisonnement au CRA pour 48 heures, et organiser sa déportation avant même qu’elle soit déférée devant un tribunal. Si la préfecture n’a pas réussi a déporter la personne enfermée durant ce laps de temps, le ou la préfet.e saisit le ou la Juge des libertés et de la détention (JLD) pour prolonger l’enfermement, puis la personne comparaît devant un tribunal. Le ou la JLD a trois possibilités pour statuer  :

  • la prolongation de la détention
  • l’assignation à résidence
  • la non prolongation de la détention

L’audience n’est pas destinée à remettre en cause le placement en détention d’une personne sanspapiérisée mais uniquement à délibérer sur la durée de la détention. Le procès au JLD statue seulement sur la prolongation de l’emprisonnement. Le cadre juridique permet ainsi d’enfermer a priori un.e sans-papier.e pendant 48 heures – auxquelles s’ajoutent les heures d’enfermement passées dans les locaux de la PAF – suite à un simple contrôle d’identité. Le « maintien irrégulier » sur le sol français est effectivement considéré comme un crime légitimant en lui-même l’enfermement instantané, sans même qu’un passage devant un tribunal soit nécessaire.

La loi asile et immigration portée par G. Collomb – alors ministre de l’intérieur et aujourd’hui redevenu maire de Lyon – a été adoptée en août 2018 et est entrée en vigueur le 1er janvier 2019. Son nom complet est cynique : « pour une immigration maîtrisée, un droit d’asile effectif et une intégration réussie ». La maîtrise de l’immigration, ça veut dire que l’Etat français choisit et sélectionne les personnes autorisées à exister sur le territoire français. Les indésirables seront traqué.es, emprisonné.es et déporté.es. Quant au « droit d’asile effectif », c’est un leurre pour mieux trier, contrôler et assujettir les personnes immigrées. Et « l’intégration réussie », c’est du racisme. Cette loi a renforcé le système CRA : elle double la durée maximale d’enfermement en la faisant passer de 45 à 90 jours, et accroît la possibilité d’expulsion sans décision de justice (le délai du rendu de jugement a été repoussé à 48 heures et il est non suspensif de la déportation).

2. Les audiences en JLD : enfermer pour une expulsion déjà actée

Dans les procès en JLD, la prolongation de l’enfermement est déconnectée de l’obligation de quitter le territoire français (OQTF) ou de toute autre décision illégalisant la présence de la personne sur le territoire. En effet, lorsque les prisonnier.es la contestent au sein du TGI (tribunal de grande instance), le ou la juge, comme les différent.es avocat.es, coupent court et expliquent que le jugement sur l’OQTF ne relève pas de leur mandat mais de celui du tribunal administratif. Aucune remise en cause de l’OQTF n’est permise alors même qu’elle est la raison qui légalise l’enfermement.

De par cette dissociation, les arguments mobilisés lors des procès en JLD sont jugés au regard de combien cet enfermement facilite et est nécessaire à l’expulsion. L’expulsion n’est jamais remise en cause, d’autant plus que faire appel de son OQTF n’est pas suspensif et peut prendre jusqu’à 6 mois : les sanspapiérisé.es peuvent ainsi être déporté.es alors même qu’iels ont entamé une procédure de recours.

Et même lorsque l’OQTF n’existe plus, cela n’empêche pas la justice de continuer à enfermer et à déporter. C’est le cas des personnes qui ont été arrêtées avec une interdiction de retour dans le territoire français (IRTF). Celle-ci interdit à la personne de revenir sur le territoire français pendant une durée qui peut aller jusqu’à 5 ans. Son délai d’expiration ne commence qu’une fois que les personnes sanspapiérisées ont quitté le territoire. Des étranger.es dont l’OQTF a expiré mais pas l’IRTF sont ainsi illégalisé.es à vie dans la mesure où tant qu’iels ne sont pas sorti.es du territoire, la justice peut les enfermer et les déporter sans qu’une nouvelle OQTF ne soit nécessaire.

Toujours dans l’objectif d’assurer l’expulsion systématique des étranger.es, les autorités françaises sont prêtes à falsifier l’identité des sanspapiérisé.es. En effet, certains pays, comme le Congo par exemple, ne délivrent pas ou peu de laissez-passer. Ainsi, de nombreuses personnes congolaises se voient attribuer la nationalité angolaise pour faciliter l’obtention de laissez-passer, et donc leur déportation. Les audiences en JLD ne permettent pas aux personnes concernées de contester leur assignation à une fausse identité, et donc l’expulsion vers un pays qui n’est pas leur pays d’origine. En effet, la décision d’expulsion est considérée comme acquise par la juridiction du JLD qui n’en autorise aucune remise en question. Tout argument mobilisé pour la contester est ainsi rejeté.

La déportation étant pensée comme objectif à atteindre, lorsque l’enfermement est considéré comme lui étant nécessaire, il n’existe aucun moyen légal de le remettre en cause. Tous ces passages au tribunal donnent ainsi un cadre de disciplinarisation aux détenu.es. Ils donnent l’illusion que quelque chose se joue lors de ces procès, alors même que l’OQTF a déjà acté la possibilité pour l’Etat, les administrations et la justice de se parer de tous les moyens possibles pour détruire et se débarrasser des étranger.es.

3. Les 3 non-issues des audiences JLD 

Trois scénarios sont possibles au terme d’une audience devant le JLD.

  • Peine de prison ferme avec mandat de dépôt  : emprisonnement au CRA

Le ou la juge ordonne que la personne soit maintenue au CRA pour un mois supplémentaire. C’est la situation qui arrive dans la grande majorité des cas. L’objectif de ce procès est d’assurer le moyen légal de prolongation de l’emprisonnement des personnes étrangères.

  • Peine de prison à domicile : assignation à résidence

L’avocat.e de la défense demande l’assignation à résidence. Cela veut dire que la personne, à l’issue de l’audience, est sortie de l’enceinte du CRA mais qu’elle doit pointer au commissariat à une fréquence déterminée par les autorités sur une durée qui peut aller de 45 jours à 6 mois. L’assignation à résidence est conditionnée par des « garanties de représentation », elles-mêmes soumises à l’arbitraire des juges. Les garanties de représentation sont des preuves de ce que les administrations et la justice considèrent comme « conditions de vie stables » en France (papiers d’identité en cours de validité, justificatif de domicile, contrat de travail, de mariage, etc.).

Il est absurde que la préfecture et la justice demandent des preuves de conditions de vie stable à des personnes qu’elles-mêmes instabilisent, en les irrégularisant. Elles imposent un cadre juridique raciste destiné à contrôler les individu.es et qui est d’autant plus répressif pour les sanspapiérisé.es. En effet, les administrations exigent d’elleux des garanties d’intégration alors même qu’elles organisent leur exclusion. Trouver un logement nécessite des papiers réguliers, une connaissance des institutions, mais également une sécurité de revenu qui est légalement impossible à obtenir pour des personnes sans-papiers en France. Et quand bien même la personne a des garanties de représentation, la justice raciste en demandera toujours plus aux étranger.es : elle présuppose que la personne est malhonnête et exige d’elle de prouver sa légitimité à être sur le territoire, sans jamais que ce soit suffisant puisque le but est de l’enfermer et de la déporter.

Dans un système destiné à emprisonner, l’assignation à résidence, que les avocat.es présentent comme une solution, n’est qu’un autre moyen d’enfermer. Du fait du pointage régulier au commissariat qu’elle impose, elle est surtout un moyen de placer les étranger.es dans une situation d’autocontrôle. Pas besoin de construire une nouvelle cellule ni d’employer des matons, l’étranger.e doit lui/elle-même se surveiller. Iel est ainsi mis.e de force à contribution dans le système CRA, dans la privation de sa propre liberté. Être assigné.e à résidence ne correspond pas à une sortie du système CRA. L’assignation à résidence consiste à décaler les violences inhérentes au CRA à l’échelle du domicile. Celui-ci devient en lui-même un espace de frontières au sein duquel la personne est enfermée, chez elle, et doit organiser, par ses propres moyens, sa déportation.

Ainsi, des preuves d’intégration sont exigées par la justice pour mettre en œuvre les expulsions.

En plus du CRA, l’assignation crée une autre prison : le domicile. Si la PAF, la préfecture et le tribunal considèrent que la personne sanspapiérisée ne s’emprisonne pas suffisamment, par exemple parce qu’elle n’est pas allée à un pointage, alors elle est réenfermée au CRA. L’objectif est d’enfermer les étranger.es dans un système qui permet la démultiplication des lieux d’enfermement. Le choix d’un lieu de prison ou d’un autre est laissé au bon vouloir des différentes institutions.

  • Grippage temporaire dans la machine à enfermer : sortie du CRA mais toujours emprisonné par l’OQTF.

Lorsqu’un vice de procédure (interpellation non règlementaire, non notification de ses droits, durée de la garde à vue…) est soulevé et retenu par la ou le juge, cette/ce dernier.e peut décider de ne pas prolonger l’enfermement. La personne est toujours sous Obligation de Quitter le Territoire Français et/ou sous Interdiction de Retour sur le Territoire Français. Il n’est pas question ici de remettre en cause l’enfermement des étranger.es mais de savoir s’il s’est déroulé en bonne et due forme.

Les vices de procédures ne sont souvent mobilisés que lors de la première audience en JLD. Elle fait suite au lancement de procédures administratives et judiciaires qui ont pu faillir au cadre procédural imposé. Lorsque le JLD acte la légalité de la procédure de mise en détention et ordonne la prolongation de l’enfermement, le système judiciaire se verrouille encore davantage, car l’emprisonnement est jugé conforme à la loi. Il n’existe ainsi plus que très peu d’arguments légaux pour plaider en faveur de la sortie du CRA. Dans la mesure où la non-exécution de la déportation est le principal motif légal pour justifier de la prolongation de l’enfermement, celui-ci est presque systématiquement reconduit.

En détaillant ces différentes trames, on comprend que le JLD porte mal son nom : son rôle est toujours d’enfermer, dans les prisons pour étranger.es le plus souvent, ou dans les alentours de la résidence sous surveillance policière quotidienne. Cette mesure est rare, elle est considérée comme « exceptionnelle ». Les micro-procès de prolongation s’enchaînent ainsi sans offrir d’issues : soit on retourne au CRA, soit on sort pour être enfermé à son domicile avec obligation de rendre des comptes à la police, soit on sort du CRA avec l’obligation de quitter le territoire au plus vite.

L’étrangèr.e est pris.e dans un enchevêtrement institutionnel, un dispositif répressif mortifère qui le/la fait passer comme une balle de ping-pong des mains de la police municipale à celles de la PAF, de la PAF à le/la juge avant que ça ne recommence. Même quand la personne sort du CRA, elle est toujours sous OQTF. Iel est toujours vu.e par la justice comme un.e criminel.le qui peut de nouveau être enfermé.e au CRA lors d’un prochain contrôle d’identité. Les trois non-perspectives sont pensées pour réprimer et expulser.

  • La cour d’appel : une voie sans issue

Suite à l’audience en JLD, les détenu.es peuvent faire appel (lorsque la ou le juge/les avocat.es daignent les informer et/ou ne les en découragent pas) dans les 24 heures qui suivent le délibéré du procès. Dans ces cas-là, iels passent 48 heures plus tard à la Cour d’appel, au tribunal des 24 colonnes à Lyon (Rue du Palais de Justice, 69005), les matins à partir de 10h30. L’audience n’est destinée qu’à faire examiner par un second juge les éléments apportés en première instance. En effet aucun.e nouvel.le argument/preuve ne peut, en théorie, être soulevé.e par la défense. Par conséquent, les avocat.es qui choisissent de ne pas plaider lors des premières audiences en avançant qu’iels n’ont pas d’observation et qu’iels s’en remettent à la décision du/de la juge contribuent à sceller le sort des sans-papier.es. Le recours en appel est une illusion supplémentaire pour faire croire aux détenu.es qu’iels ont la possibilité de s’extirper d’un système qui est conçu pour les enfermer. La loi définit tout nouvel élément apporté comme irrecevable, et les avocat.es choisissent de suivre ce droit répressif à la lettre en abandonnant ainsi la défense des personnes sanspapier.es.

Nik la justice qui…

L’objectif des procès JLD est d’assurer la déportation et l’emprisonnement des sans-papier.es dans le CRA. La justice punit et fait payer les sanspapiérisé.es pour s’être maintenu.es sur le territoire en les enfermant au CRA. Ainsi, même des personnes qui n’attendent qu’un vol pour fuir le CRA et l’Etat qui les y a enfermées et détruites sont condamnées, à rester isolées et emprisonnées parce qu’elles sont sanspapiérisées. Elle les condamne donc à la faim, au refus des soins et au shootage par le corps médical, aux mains sadiques de la PAF, aux violences psychologiques de l’enfermement… La justice légalise ainsi la torture, l’isolement et les violences inhérents au système CRA. Elle permet l’appropriation des corps des personnes soumises au bon vouloir de l’administration. Elle leur fait bien comprendre que c’est elle qui décide ce qu’elle fait d’elles et eux, dans l’espace et dans le temps, en les maintenant dans une incertitude inhérente à la répression du système CRA.

… Sous couvert du droit, les juges, les avocat.es de la préfecture et de la défense et les greffier.es organisent l’enfermement, la torture et la déportation des étranger.es.

La lutte en soutien aux sans-papier.es n’a rien à réclamer à la justice puisque c’est elle qui les criminalise et les réprime.

A bas la justice, les CRA et les frontières qui assassinent et soutien à tous.tes les prisonnier.es.

Témoignage d’Ani, détenu au CRA de Lyon Saint-Exupéry, février 2019

[…]

Q : Donc tu veux parler de quand tu as voulu appeler ton avocat ?

A : Non, moi j’ai pas appelé l’avocat. Ils m’ont dit que eux-mêmes ils vont appeler l’avocat. Donc j’ai dit « ok, pas de souci ». Donc ils ont appelé l’avocat et l’avocat est venu quelques minutes après. Et l’avocat il a dit [inaudible], donc on s’est vus, on a parlé. Moi j’ai parlé de ma situation à l’avocat. L’avocat m’a demandé si j’ai une adresse. J’ai tout donné. J’ai une adresse où je vis, s’ils veulent appeler ma copine pour vérifier, quelque chose que les policiers n’ont pas accepté de faire, ils n’ont pas fait. J’ai dit « s’ils veulent appeler leurs policiers [inaudible], ils peuvent aller regarder, moi j’ai mon nom sur la boîte d’adresse, et même les factures que ce soit Engie Gaz, le courant, il y a mon nom dessus, avec celui de ma copine. » Ils peuvent tout vérifier, moi j’ai l’adresse. L’avocat il m’a dit « c’est difficile, on verra. » Et jusqu’au soir, rien.

Ils sont venus me voir à 18 heures, ils m’ont dit que si la police n’a pas accepté de me libérer, c’est parce que je n’ai pas fourni de passeport. Si je donnais un passeport, peut-être la police allait m’assigner à résidence. J’ai pas donné de garanties, donc du coup on ne me relâche pas parce qu’ils jugent que je vais partir. Mais moi je lui dis, je vous ai donné une adresse et vous l’avez et le numéro de ma copine, vous l’appelez ou vous me demandez, quelque chose que vous ne voulez pas faire. Donc je ne sais pas quelles garanties je dois vous donner encore. Parce que les informations que je vous donne, vous ne les vérifiez même pas. Et vous voulez une garantie, je vous donne quelle garantie ? Moi, j’ai pas mon passeport, j’ai perdu mon passeport.

Donc ils me disent qu’ils vont m’envoyer en Centre de rétention. J’ai dit « ok, pas de souci. » Donc ils m’ont donné des papiers à signer, je ne voulais pas signer. La dame, elle m’a dit « c’est juste pour dire que la garde à vue est finie chez nous, c’est les gens du Centre de rétention maintenant qui vont t’emmener. » J’ai été naïf, j’ai signé. Et le procès-verbal, j’ai signé sans le lire. J’ai été naïf, ça même aujourd’hui, je le regrette. Et ils m’ont donné une OQTF – obligation de quitter le territoire. Et quand j’ai vu que c’est l’obligation de quitter le territoire, j’ai dit « je signe pas. » Elle m’a dit « ça dépend de vous, si vous voulez pas signer. » J’ai dit « oui, mais j’ai dit je signe pas donc vous n’avez même pas à me répéter. » Donc j’ai pas signé.

Et là, ils m’ont ramené ici. Et quand je viens ici, on me confisque mon téléphone. Je comprends pas. Je regarde leurs lois, leurs conditions de détention, je n’ai jamais vu où c’est écrit quelque part qu’on n’a pas droit aux Smartphones, je n’ai pas vu. Je regarde la loi du Centre de rétention et j’ai pas vu quelque part où c’est écrit qu’on n’a pas le droit aux Smartphones. J’essaie de leur faire comprendre mais ils m’écoutent pas.

Et là, je prends le temps, quand j’ai pu rentrer dans la chambre, je prends le temps de lire le procès-verbal. Ils me disent, dans le procès-verbal, c’est écrit non et j’ai eu le temps de parler avec ma copine au téléphone comme je voulais. J’ai appelé une personne. Ils m’ont demandé si je veux faire venir quelqu’un quand j’étais en garde à vue, j’ai dit non, que je ne voulais. Alors que c’est eux qui m’ont dit non, personne ne peut venir me voir quand j’étais en garde à vue. Maintenant, ils me disent non, dans le procès-verbal, ils écrivent, non, c’est moi qui ai refusé de recevoir la visite. Ça m’a choqué, mais j’ai pas pris en considération.

Donc on est allés devant la juge qui m’a reproché la même chose, parce que je ne donne pas de garanties. Pour eux je dois donner mon passeport qui serait une garantie que je vais partir, parce qu’à chaque moment qu’ils auront besoin de m’expulser, ils peuvent venir me prendre chez moi en sécurité parce qu’ils ont mon passeport. Donc, du coup, ils n’ont pas besoin du laissez-passer de mon Ambassade. Moi j’ai dit « j’ai pas de passeport. » Rien que pour ça, je suis pas libéré donc ils me ramènent en Centre de rétention. On me donne 28 jours et je suis ici depuis le 6 février, donc j’attends.

Q : Et tu es encore en contact avec ton avocat ?

A : Moi, je vais changer d’avocat parce que les avocats commis d’office, c’est pas la peine. Ils ne font rien pour te défendre. Les associations qui sont au Centre de rétention, c’est pareil, même ils te disent « ça sert à rien de faire appel, parce que, que tu fasses appel ou pas, tout compte fait, ça n’empêche pas ton expulsion. » Ça a l’air que c’est un système, ils travaillent tous ensemble, en fait. Ils disent toujours « non, on peut vous aider » mais ils font rien pour aider, donc l’avocat commis d’office, je ne l’appelle pas. Rien du tout. La dernière fois que j’ai fait appel, après, j’ai regretté. Pourquoi ? Parce que je ne veux plus que ce soit l’avocate qui s’occupe de mon cas. Parce que la dernière fois quand on est allé au commissariat, elle nous a demandé tous les documents pour montrer que je vis vraiment avec ma copine. On a tout envoyé. Elle a même demandé à ce que ma copine fasse une attestation d’hébergement sur l’honneur. Elle a tout fait, elle m’a envoyé sa pièce d’identité, elle a même envoyé son passeport qui prouve qu’elle allait me voir à Abidjan des fois. Et on arrive et j’ai dit aux gens de l’association : « dites à l’avocate que quand on va arriver, qu’elle appelle ma copine à la barre pour qu’elle puisse témoigner. » Et on arrive, l’avocate ne fait rien du tout. Moi-même, je vais à la barre pour parler et je me défends contre l’avocate qui est censée me défendre. Du coup moi, je vois ça comme une farce. Je me dis que ça sert à rien d’avoir un avocat, je ne vois pas l’importance .

Q : Oui, mais tu peux changer d’avocat, c’est vrai que les avocats commis d’office sont nuls.

A : Oui, j’ai parlé avec X. X. m’a trouvé une avocate, du coup, j’aimerais que ça soit elle qui s’occupe de mon cas. Je pense que mercredi, elle va croiser X. Elle a donné rendez-vous à X. pour prendre le dossier. Elle, au moins, elle a pris son temps, au téléphone, de m’expliquer la situation. Même quand quelqu’un ne peut pas te faire sortir de là où tu es, mais quand la personne prend le temps de t’expliquer les choses, « voilà comment, ça sera dur, mais voilà… » Ça donne un peu de réconfort !

Tu as une avocate qui te reçoit vingt minutes avant le procès et quand vous finissez le jugement, elle ne prend même pas le temps de t’appeler. Elle attend encore que tu reviennes devant le juge pour te recevoir encore vingt minutes avant que tu passes devant le juge. Elle prend quel temps pour lire mon dossier ? Elle prend quel temps pour me défendre ? Rien ! Vingt minutes ! En vingt minutes, on peut défendre ? On peut être au courant de tout un tas de trucs ? Non !

Q : Et est-ce que tu veux me parler de comment ça se passe dans le Centre de rétention ?

A : C’est ce que je dis à mes amis : pour moi, j’appelle pas ça « Centre de rétention ». Pour moi, c’est une prison. Parce que j’ai déjà rendu une visite à des gens en prison. Et je pense en prison, c’est même mieux qu’ici, voilà. Ici, c’est un semblant de… je ne sais pas comment dire… un semblant de liberté mais qui n’en est pas, voilà. Parce qu’on nous dit qu’on n’est pas en prison, mais ici on est en prison. On n’a même pas de place pour… tu sors de la chambre et tu as l’espace qui est là … je sais pas comment dire…  souvent t’as …  [passages inaudibles] les gens sont tellement sur leurs nerfs que c’est toujours la bagarre entre eux, parce qu’il y a pas d’endroit où… je ne sais pas comment dire… Pour moi, je dirais même qu’en prison, il y a plus d’espace. Et puis tu ne manges pas ce que tu veux. Tu manges des choses que tu n’as jamais vues. C’est pas de la nourriture préparée ici, c’est de la nourriture payée dans les trucs en plastique de supermarché qui sont passés au chauffage, qu’ils chauffent au micro-onde. Si tu veux tu manges, si tu veux pas tu manges pas, c’est pas leur problème, ça n’engage que toi.

Q : Et comment ils sont les gardiens, avec vous ?

A : Il y a des gardiens qui sont sympas. Pour moi, parce que les gardiens ils ne traitent pas tout le monde de la même manière, ça aussi, il faut le dire, voilà ! Donc, je ne peux pas parler pour tout le monde. Pour moi, à 80% la majorité des gardiens sont sympas. La majorité. Par contre, il y a d’autres, quand ils vous voient, ils ont l’impression qu’ils voient des animaux devant eux. Et pour eux, c’est des personnes sans importance, ou sont un petit peu plus qu’un prisonnier. Sinon, il y a des gardiens qui parlent avec nous, qui nous donnent des conseils, des choses à faire. Souvent même, il y en a qui n’aiment pas que leurs collègues parlent  «  Fais confiance à telle association ; à telle association ». [passage inaudible] Souvent on fait comme ça. Souvent les gardiens ils sanctionnent pas. Comme un qui vient d’arriver, il y a même un gardien qui lui a pris des habits parce qu’il n’en avait pas. Il lui a envoyé des habits le vendredi ou jeudi, encore, il lui a ramené des habits, c’est des habits qu’il a pris au magasin pour le lui amener, voilà. Il y a des gardiens qui sont sympas, ils lui donnent sans que ses amis le sachent. Il y a des gardiens qui sont sympas, mais par contre, il y a d’autres, c’est pas  la peine.

Au Centre, les gens viennent nous voir, ils nous amènent souvent des gâteaux, des biscuits chauds. Ils refusent souvent. Ils refusent que ça rentre et je ne comprends pas pourquoi. Pourquoi on n’a pas droit aux choses qu’on veut ? On n’envoie pas des choses pour se tuer, on n’envoie pas des choses pour, non. C’est de la nourriture qu’on envoie. Pourquoi on nous dit pas qu’on nous ramène de la nourriture ? Ça, j’arrive pas à comprendre. Il y a des choses que j’arrive pas à comprendre. Pourquoi on nous dit pas qu’on nous ramène de la nourriture ?

Pourquoi on ne veut pas qu’on ait accès à l’internet ? Ça, je n’arrive pas à comprendre parce que moi, ma copine, elle a payé un téléphone et le problème avec le Smartphone il dit que c’est la caméra, ok, donc elle a payé un téléphone, elle est allée chez un réparateur, elle a enlevé la caméra, devant comme derrière, elle a tout enlevé. Elle a envoyé le téléphone mais ils ont refusé que ça rentre parce que c’était un Smartphone. Vous refusez que ça passe, maintenant, nous on fait comment pour communiquer avec les parents ? Vous voulez nous ramener au pays et on ne peut pas communiquer avec les parents au pays. On fait comment ? Aujourd’hui tout le monde avec Messenger ou Whatsapp, on communique avec les parents au pays. Comment on fait pour communiquer avec les parents ? Tu peux pas prendre les unités prépayées, ça coûte cher, quoi ! Si tu prends du crédit pour appeler en Afrique, ça coûte très cher ! Du coup, c’est par internet qu’on communique. Et là, vous nous refusez ça ! On fait comment avec les parents ? On dit comment qu’on arrive ? Voilà !

Moi je dis  » si vous me ramenez pas, pourquoi vous nous entassez là les uns sur les autres « . Souvent il y en a qui dorment par terre, ou d’autres qui sont cinq dans les chambres. Ça sert à quoi ? Si vous n’avez pas les moyens de vous occuper de nous en Centre de rétention, envoyez-nous chez nous ou laissez-nous en liberté. Moi, j’ai juste demandé qu’on me laisse trente jours, que moi-même, j’organise mon voyage, moi-même, je paie mon voyage, je rentre. Qu’on me donne l’obligation de quitter le territoire, ok il y a pas souci, mais qu’on me donne juste au moins le temps que je réunisse mes affaires, parce que j’ai des affaires à Paris, que je n’ai pas pu faire venir ici, et moi-même je prends mon billet et je quitte le territoire. C’est pas un souci. Mais on refuse et on m’amène là. Vous m’amenez là, c’est que vous avez les moyens de vous occuper de moi. Je mange pas ce que je veux, je fais pas ce que je veux, ça c’est une prison ! Du coup, c’est quoi la définition du mot « prison » ? C’est une punition ! Donc là, c’est une punition.

Q : Tu me disais que vous étiez nombreux à l’intérieur ?

A : Quand ils ramènent une autre personne, nous on refuse, parce qu’on ne veut pas être plus de quatre dans la chambre. Il y a des gens qui sont cinq avec deux qui dorment par terre. C’est quatre lits dans les chambres. Donc s’il sont cinq, il y en a qui sont obligés de dormir par terre.

Q : Donc il y a plus de monde dans le Centre de rétention que ce qu’il y a de places ?

A : Ah oui !

Q : Et toi, tu es déjà allé à l’infirmerie ?

A : Ah oui ! Même hier, je suis allé à l’infirmerie. L’infirmerie, c’est rien du tout. C’est juste un nom. Si tu as besoin de paracétamol, oui, tu peux aller à l’infirmerie. Si tu as besoin de soins, vraiment, de soins qu’il faut, alors ça ne vaut pas la peine d’aller à l’infirmerie parce qu’il y a rien du tout. Même le médecin et les infirmières n’ont rien comme matériel pour s’occuper de nous. Moi, j’ai mal à l’orteil, j’ai mon orteil du pied qui me fait mal, je sais pas pourquoi. Voilà, actuellement je n’arrive même pas à porter la chaussure fermée. Donc je suis allé à l’infirmerie et la dame elle m’a vu quarante secondes et elle m’a donné une pommade avec le pansement, c’est tout. J’ai dit j’ai mal. Et ce qu’elle m’a donné, ça m’a rien fait.

Q : Il y a d’autres choses que tu voudrais raconter ?

A : Oui, je ne sais pas si vous avez parlé avec elle, il y a une fille, je ne sais pas pourquoi, elle est du Congo et on veut l’envoyer en Angola. Ça c’est des choses, on comprend pas, ici. On a l’impression qu’ils font du business avec les Ambassades. Parce que moi, depuis que je suis arrivé, il y a deux ans, qu’ils sont venus me trouver là, qu’ils sont allés à l’Ambassade et moi depuis, on ne m’amène pas à l’Ambassade. On me dit « on va t’amener à l’Ambassade pour aller parler avec ton Ambassade pour ton laissez-passer. » Et est-ce je suis envoyé à l’Ambassade depuis que je suis là ? Non ! Rien du tout ! On m’a pas encore envoyé à l’Ambassade. Il y a des gens qui sont arrivés qui ne sont même pas allés à l’Ambassade et du jour au lendemain, on leur dit l’Ambassade a donné le laissez-passer.

Q : Ah oui, ils sont pas allés à l’Ambassade et ont quand même reçu un laissez-passer.

A : Oui, on n’arrive pas à comprendre. Depuis le départ, on nous coupe du monde, on ne sait pas ce qui se passe dehors et nous on est là, c’est pas facile, on est enfermés.