La justice cerbère des centres de rétention 1 : le juge des libertés et de la détention

[Article paru sur Rebellyon.info]

Le CRA (centre de rétention administrative) constitue l’ultime étape de la répression contre les personnes étrangères pour les déporter de force et s’assurer qu’ils et elles ne vont pas revenir. Le CRA en lui-même ne peut fonctionner seul. Il fait partie d’un système, dont la justice est actrice à part entière.

Les CRA : criminalisation, emprisonnement et déportation

Les centres de Rétention Administrative (CRA) sont des prisons pour les étranger.es auxquel.les on ne reconnaît pas le droit de séjourner en France. Ils sont pensés pour les enfermer puis les expulser hors du territoire français. Le CRA constitue l’ultime étape de la répression contre les personnes étrangères pour les déporter de force et s’assurer qu’ils et elles ne vont pas revenir. Le CRA en lui-même ne peut fonctionner seul. Il fait partie d’un système, réunissant différentes institutions et différent.es acteurs.rices [1], cherchant à emprisonner, isoler, dégoûter torturer et déporter les étranger.es en dehors des frontières. Le « système CRA » s’assure qu’il n’existe aucune faille qui permette aux personnes étrangères de s’en sortir. Un des éléments majeurs de ce système est l’appareil judiciaire, qui légitime la criminalisation des personnes et leur répression en les inscrivant dans un cadre légal.

La justice fait partie intégrante du « système CRA » ; le vocabulaire et les codes qu’elle mobilise aussi. C’est pourquoi nous avons fait ici le choix de ne pas reprendre des termes juridiques forgés dans le seul objectif de cacher le traitement déshumanisant réservé aux personnes sanspapiérisées et de les réprimer. Ainsi nous utiliserons par exemple le terme de prison à la place de la catégorie administrative « rétention », puisque le CRA est bien un lieu d’enfermement pour des personnes criminalisées par la préfecture, le tribunal administratif, et le tribunal de grande instance. La rétention n’a de sens que pour les acteurs.rices qui la pensent et l’appliquent, sans corrélation avec la situation des personnes qui subissent la punition de l’enfermement au motif d’être étrangères.

Nous emploierons également le terme de déportation pour désigner ce que l’administration nomme faussement « mesure d’éloignement » ou « expulsion ». En effet, le terme de déportation désigne le fait qu’un Etat, pour des motifs politiques [racisme], interne des personnes dans des camps [CRA] pour les expulser hors du territoire national dans un lieu de son choix .

1. Déclenchement de la machine à enfermer et déporter

Lorsqu’une personne est arrêtée par la Police et qu’elle est considérée en situation irrégulière, elle est enfermée dans les locaux de la police aux frontières (PAF). Le ou la préfet.e peut alors décider de son emprisonnement au CRA pour 48 heures, et organiser sa déportation avant même qu’elle soit déférée devant un tribunal. Si la préfecture n’a pas réussi a déporter la personne enfermée durant ce laps de temps, le ou la préfet.e saisit le ou la Juge des libertés et de la détention (JLD) pour prolonger l’enfermement, puis la personne comparaît devant un tribunal. Le ou la JLD a trois possibilités pour statuer  :

  • la prolongation de la détention
  • l’assignation à résidence
  • la non prolongation de la détention

L’audience n’est pas destinée à remettre en cause le placement en détention d’une personne sanspapiérisée mais uniquement à délibérer sur la durée de la détention. Le procès au JLD statue seulement sur la prolongation de l’emprisonnement. Le cadre juridique permet ainsi d’enfermer a priori un.e sans-papier.e pendant 48 heures – auxquelles s’ajoutent les heures d’enfermement passées dans les locaux de la PAF – suite à un simple contrôle d’identité. Le « maintien irrégulier » sur le sol français est effectivement considéré comme un crime légitimant en lui-même l’enfermement instantané, sans même qu’un passage devant un tribunal soit nécessaire.

La loi asile et immigration portée par G. Collomb – alors ministre de l’intérieur et aujourd’hui redevenu maire de Lyon – a été adoptée en août 2018 et est entrée en vigueur le 1er janvier 2019. Son nom complet est cynique : « pour une immigration maîtrisée, un droit d’asile effectif et une intégration réussie ». La maîtrise de l’immigration, ça veut dire que l’Etat français choisit et sélectionne les personnes autorisées à exister sur le territoire français. Les indésirables seront traqué.es, emprisonné.es et déporté.es. Quant au « droit d’asile effectif », c’est un leurre pour mieux trier, contrôler et assujettir les personnes immigrées. Et « l’intégration réussie », c’est du racisme. Cette loi a renforcé le système CRA : elle double la durée maximale d’enfermement en la faisant passer de 45 à 90 jours, et accroît la possibilité d’expulsion sans décision de justice (le délai du rendu de jugement a été repoussé à 48 heures et il est non suspensif de la déportation).

2. Les audiences en JLD : enfermer pour une expulsion déjà actée

Dans les procès en JLD, la prolongation de l’enfermement est déconnectée de l’obligation de quitter le territoire français (OQTF) ou de toute autre décision illégalisant la présence de la personne sur le territoire. En effet, lorsque les prisonnier.es la contestent au sein du TGI (tribunal de grande instance), le ou la juge, comme les différent.es avocat.es, coupent court et expliquent que le jugement sur l’OQTF ne relève pas de leur mandat mais de celui du tribunal administratif. Aucune remise en cause de l’OQTF n’est permise alors même qu’elle est la raison qui légalise l’enfermement.

De par cette dissociation, les arguments mobilisés lors des procès en JLD sont jugés au regard de combien cet enfermement facilite et est nécessaire à l’expulsion. L’expulsion n’est jamais remise en cause, d’autant plus que faire appel de son OQTF n’est pas suspensif et peut prendre jusqu’à 6 mois : les sanspapiérisé.es peuvent ainsi être déporté.es alors même qu’iels ont entamé une procédure de recours.

Et même lorsque l’OQTF n’existe plus, cela n’empêche pas la justice de continuer à enfermer et à déporter. C’est le cas des personnes qui ont été arrêtées avec une interdiction de retour dans le territoire français (IRTF). Celle-ci interdit à la personne de revenir sur le territoire français pendant une durée qui peut aller jusqu’à 5 ans. Son délai d’expiration ne commence qu’une fois que les personnes sanspapiérisées ont quitté le territoire. Des étranger.es dont l’OQTF a expiré mais pas l’IRTF sont ainsi illégalisé.es à vie dans la mesure où tant qu’iels ne sont pas sorti.es du territoire, la justice peut les enfermer et les déporter sans qu’une nouvelle OQTF ne soit nécessaire.

Toujours dans l’objectif d’assurer l’expulsion systématique des étranger.es, les autorités françaises sont prêtes à falsifier l’identité des sanspapiérisé.es. En effet, certains pays, comme le Congo par exemple, ne délivrent pas ou peu de laissez-passer. Ainsi, de nombreuses personnes congolaises se voient attribuer la nationalité angolaise pour faciliter l’obtention de laissez-passer, et donc leur déportation. Les audiences en JLD ne permettent pas aux personnes concernées de contester leur assignation à une fausse identité, et donc l’expulsion vers un pays qui n’est pas leur pays d’origine. En effet, la décision d’expulsion est considérée comme acquise par la juridiction du JLD qui n’en autorise aucune remise en question. Tout argument mobilisé pour la contester est ainsi rejeté.

La déportation étant pensée comme objectif à atteindre, lorsque l’enfermement est considéré comme lui étant nécessaire, il n’existe aucun moyen légal de le remettre en cause. Tous ces passages au tribunal donnent ainsi un cadre de disciplinarisation aux détenu.es. Ils donnent l’illusion que quelque chose se joue lors de ces procès, alors même que l’OQTF a déjà acté la possibilité pour l’Etat, les administrations et la justice de se parer de tous les moyens possibles pour détruire et se débarrasser des étranger.es.

3. Les 3 non-issues des audiences JLD 

Trois scénarios sont possibles au terme d’une audience devant le JLD.

  • Peine de prison ferme avec mandat de dépôt  : emprisonnement au CRA

Le ou la juge ordonne que la personne soit maintenue au CRA pour un mois supplémentaire. C’est la situation qui arrive dans la grande majorité des cas. L’objectif de ce procès est d’assurer le moyen légal de prolongation de l’emprisonnement des personnes étrangères.

  • Peine de prison à domicile : assignation à résidence

L’avocat.e de la défense demande l’assignation à résidence. Cela veut dire que la personne, à l’issue de l’audience, est sortie de l’enceinte du CRA mais qu’elle doit pointer au commissariat à une fréquence déterminée par les autorités sur une durée qui peut aller de 45 jours à 6 mois. L’assignation à résidence est conditionnée par des « garanties de représentation », elles-mêmes soumises à l’arbitraire des juges. Les garanties de représentation sont des preuves de ce que les administrations et la justice considèrent comme « conditions de vie stables » en France (papiers d’identité en cours de validité, justificatif de domicile, contrat de travail, de mariage, etc.).

Il est absurde que la préfecture et la justice demandent des preuves de conditions de vie stable à des personnes qu’elles-mêmes instabilisent, en les irrégularisant. Elles imposent un cadre juridique raciste destiné à contrôler les individu.es et qui est d’autant plus répressif pour les sanspapiérisé.es. En effet, les administrations exigent d’elleux des garanties d’intégration alors même qu’elles organisent leur exclusion. Trouver un logement nécessite des papiers réguliers, une connaissance des institutions, mais également une sécurité de revenu qui est légalement impossible à obtenir pour des personnes sans-papiers en France. Et quand bien même la personne a des garanties de représentation, la justice raciste en demandera toujours plus aux étranger.es : elle présuppose que la personne est malhonnête et exige d’elle de prouver sa légitimité à être sur le territoire, sans jamais que ce soit suffisant puisque le but est de l’enfermer et de la déporter.

Dans un système destiné à emprisonner, l’assignation à résidence, que les avocat.es présentent comme une solution, n’est qu’un autre moyen d’enfermer. Du fait du pointage régulier au commissariat qu’elle impose, elle est surtout un moyen de placer les étranger.es dans une situation d’autocontrôle. Pas besoin de construire une nouvelle cellule ni d’employer des matons, l’étranger.e doit lui/elle-même se surveiller. Iel est ainsi mis.e de force à contribution dans le système CRA, dans la privation de sa propre liberté. Être assigné.e à résidence ne correspond pas à une sortie du système CRA. L’assignation à résidence consiste à décaler les violences inhérentes au CRA à l’échelle du domicile. Celui-ci devient en lui-même un espace de frontières au sein duquel la personne est enfermée, chez elle, et doit organiser, par ses propres moyens, sa déportation.

Ainsi, des preuves d’intégration sont exigées par la justice pour mettre en œuvre les expulsions.

En plus du CRA, l’assignation crée une autre prison : le domicile. Si la PAF, la préfecture et le tribunal considèrent que la personne sanspapiérisée ne s’emprisonne pas suffisamment, par exemple parce qu’elle n’est pas allée à un pointage, alors elle est réenfermée au CRA. L’objectif est d’enfermer les étranger.es dans un système qui permet la démultiplication des lieux d’enfermement. Le choix d’un lieu de prison ou d’un autre est laissé au bon vouloir des différentes institutions.

  • Grippage temporaire dans la machine à enfermer : sortie du CRA mais toujours emprisonné par l’OQTF.

Lorsqu’un vice de procédure (interpellation non règlementaire, non notification de ses droits, durée de la garde à vue…) est soulevé et retenu par la ou le juge, cette/ce dernier.e peut décider de ne pas prolonger l’enfermement. La personne est toujours sous Obligation de Quitter le Territoire Français et/ou sous Interdiction de Retour sur le Territoire Français. Il n’est pas question ici de remettre en cause l’enfermement des étranger.es mais de savoir s’il s’est déroulé en bonne et due forme.

Les vices de procédures ne sont souvent mobilisés que lors de la première audience en JLD. Elle fait suite au lancement de procédures administratives et judiciaires qui ont pu faillir au cadre procédural imposé. Lorsque le JLD acte la légalité de la procédure de mise en détention et ordonne la prolongation de l’enfermement, le système judiciaire se verrouille encore davantage, car l’emprisonnement est jugé conforme à la loi. Il n’existe ainsi plus que très peu d’arguments légaux pour plaider en faveur de la sortie du CRA. Dans la mesure où la non-exécution de la déportation est le principal motif légal pour justifier de la prolongation de l’enfermement, celui-ci est presque systématiquement reconduit.

En détaillant ces différentes trames, on comprend que le JLD porte mal son nom : son rôle est toujours d’enfermer, dans les prisons pour étranger.es le plus souvent, ou dans les alentours de la résidence sous surveillance policière quotidienne. Cette mesure est rare, elle est considérée comme « exceptionnelle ». Les micro-procès de prolongation s’enchaînent ainsi sans offrir d’issues : soit on retourne au CRA, soit on sort pour être enfermé à son domicile avec obligation de rendre des comptes à la police, soit on sort du CRA avec l’obligation de quitter le territoire au plus vite.

L’étrangèr.e est pris.e dans un enchevêtrement institutionnel, un dispositif répressif mortifère qui le/la fait passer comme une balle de ping-pong des mains de la police municipale à celles de la PAF, de la PAF à le/la juge avant que ça ne recommence. Même quand la personne sort du CRA, elle est toujours sous OQTF. Iel est toujours vu.e par la justice comme un.e criminel.le qui peut de nouveau être enfermé.e au CRA lors d’un prochain contrôle d’identité. Les trois non-perspectives sont pensées pour réprimer et expulser.

  • La cour d’appel : une voie sans issue

Suite à l’audience en JLD, les détenu.es peuvent faire appel (lorsque la ou le juge/les avocat.es daignent les informer et/ou ne les en découragent pas) dans les 24 heures qui suivent le délibéré du procès. Dans ces cas-là, iels passent 48 heures plus tard à la Cour d’appel, au tribunal des 24 colonnes à Lyon (Rue du Palais de Justice, 69005), les matins à partir de 10h30. L’audience n’est destinée qu’à faire examiner par un second juge les éléments apportés en première instance. En effet aucun.e nouvel.le argument/preuve ne peut, en théorie, être soulevé.e par la défense. Par conséquent, les avocat.es qui choisissent de ne pas plaider lors des premières audiences en avançant qu’iels n’ont pas d’observation et qu’iels s’en remettent à la décision du/de la juge contribuent à sceller le sort des sans-papier.es. Le recours en appel est une illusion supplémentaire pour faire croire aux détenu.es qu’iels ont la possibilité de s’extirper d’un système qui est conçu pour les enfermer. La loi définit tout nouvel élément apporté comme irrecevable, et les avocat.es choisissent de suivre ce droit répressif à la lettre en abandonnant ainsi la défense des personnes sanspapier.es.

Nik la justice qui…

L’objectif des procès JLD est d’assurer la déportation et l’emprisonnement des sans-papier.es dans le CRA. La justice punit et fait payer les sanspapiérisé.es pour s’être maintenu.es sur le territoire en les enfermant au CRA. Ainsi, même des personnes qui n’attendent qu’un vol pour fuir le CRA et l’Etat qui les y a enfermées et détruites sont condamnées, à rester isolées et emprisonnées parce qu’elles sont sanspapiérisées. Elle les condamne donc à la faim, au refus des soins et au shootage par le corps médical, aux mains sadiques de la PAF, aux violences psychologiques de l’enfermement… La justice légalise ainsi la torture, l’isolement et les violences inhérents au système CRA. Elle permet l’appropriation des corps des personnes soumises au bon vouloir de l’administration. Elle leur fait bien comprendre que c’est elle qui décide ce qu’elle fait d’elles et eux, dans l’espace et dans le temps, en les maintenant dans une incertitude inhérente à la répression du système CRA.

… Sous couvert du droit, les juges, les avocat.es de la préfecture et de la défense et les greffier.es organisent l’enfermement, la torture et la déportation des étranger.es.

La lutte en soutien aux sans-papier.es n’a rien à réclamer à la justice puisque c’est elle qui les criminalise et les réprime.

A bas la justice, les CRA et les frontières qui assassinent et soutien à tous.tes les prisonnier.es.

« Un chien, on l’enferme chez vous pendant 48h, il va tout faire, même il va se suicider » : Compte rendu du procès des quatre évadés du CRA

[Article initialement paru sur Rebellyon.info]

Le samedi 13 avril avait eu lieu une tentative d’évasion du CRA. Les flics ont interpellé quatre personnes et les ont tabassées, certaines ont dû aller à l’hôpital et ont été mises en garde à vue. Après une première comparution immédiate le 18 avril, le procès a eu lieu le 3 mai, ils ont tous les quatre écopé de 4 mois de prison ferme. Compte rendu d’un procès où un détenu se défend seul.

Résumé de la comparution immédiate du 18 avril :
Une personne ayant refusé d’avoir un avocat et demandé du temps pour préparer sa défense, l’audience a été reportée pour tous au 3 mai. Le 18 avril, il ne s’agissait donc que de décider de leur sort jusqu’au procès. Par formalité, la juge leur demande s’ils ont des problèmes de santé. Une personne répond qu’elle a la maladie de Crohn et a besoin de traitements. Cette information n’a aucune incidence sur la décision finale, les deux seules alternatives étant l’enfermement : le CRA ou la maison d’arrêt. Ils ont été placés en mandat de dépôt à la maison d’arrêt de Villefranche. En entendant cette décision, les détenus, en signe de protestation, sortent d’eux-mêmes du box en lâchant des : « Vive la France ! », « C’est ça la France Madame ?! ».

Compte rendu de l’audience du 3 mai :
Les 4 détenus arrivent dans le box, entourés de 7 keufs, dont 6 y resteront pendant toute la durée de l’audience. Dans la salle, ce sont 3 d’entre eux qui surveillent le public et 1 fait la sécu à l’entrée. Faut dire qu’entre l’audience pour des étrangers ayant tenté de s’enfuir du CRA et celles pour les gardés à vue de la Giletjaunade du 1er mai, l’après-midi verra se succéder les procès politiques. Bien évidemment, les magistrat.es ne manqueront pas de marquer leur mépris…

3 détenus seront assistés par une interprète.

On reproche aux quatre personnes une « tentative de soustraction à une mesure de rétention administrative » le 13 avril et pour deux d’entre elles « la dégradation ayant causé un dommage grave dans le mur du Centre de Rétention, dégradation commise par plusieurs personnes en qualité d’auteur ou de complice »

La juge résume les faits : A 17h45 le 13 avril, l’alarme du CRA se déclenche, deux flics arrivent et voient un trou creusé dans un mur extérieur donnant sur une coursive. Les flics voient trois personnes en train d’escalader et une qui repasse à l’intérieur du CRA. Tous seront interpellées.

La juge montre des photos (vue aérienne et plan du CRA avec matérialisation du trou) aux assesseurs et décrit le dispositif qui barricade le CRA : sur la coursive, il y a des haies avec derrière un grillage de 4m, et le dernier mètre est constitué de panneaux inclinés vers l’intérieur, eux-mêmes terminés par des herses pointues. Pour le trou, les prisonniers se sont servis d’une grille de caniveau pour creuser un mur de 45 cm fait de parpaings, plâtre et moellons. Le trou a été creusé dans le mur d’un local que la juge qualifie de « salle de détente avec une machine à café ». Elle continue sa rubrique TripAdvisor de ce qu’on croirait être un Club Med, et parle d’une « sorte de sas qui permet d’accéder à une cour de détente ». Pour rappel, outre le fait que la machine est hors-service, c’est précisément dans ce local et dans cette cour que les détenus du CRA subissent régulièrement la répression, où ils sont parqués, matraqués et gazés…

La vidéo-surveillance permet aux flics de se repasser toute la scène, qui a commencé vers 13h30. Iels identifient des personnes avec une « responsabilité bien marquée » ; celles-ci vont être poursuivies selon une autre procédure et seront jugées prochainement.

La juge mentionne que les prisonniers ont fait beaucoup de bruit, au prétexte d’encourager un match de foot pour essayer de couvrir le bruit du trou en train d’être creusé.

Les quatre personnes ont reconnu les faits de tentative d’évasion, et la juge ne peut s’empêcher d’ajouter « il était difficile de faire autrement ». Elle interroge ensuite chacun. Elle appuie sur le fait que le PV mentionne que l’un soit « repassé à l’intérieur en voyant la police » et qu’il ait « cassé ». Le détenu se défend de l’erreur de traduction. La juge coupe court : « L’interprète a dit ce que vous lui avez dit, il n’a pas inventé ». Un autre explique qu’il était arrivé depuis 40 minutes au CRA et qu’il n’a rien à voir avec ça.

La juge, s’adressant à D. qui a choisi de se défendre lui-même : « Concernant votre participation aux faits, vous vous êtes blessé en tombant du grillage, vous n’êtes pas parvenu à l’escalader. Vous dites que vous avez entendu parler de l’évasion qui était en projet en début d’après-midi. Vous contestez avoir participé aux dégradations mais vous avez vu le trou se creuser. Vous reconnaissez par contre que vous vous y êtes intéressé, que vous avez fait du bruit, que vous avez donc évidemment participé à cette tentative d’évasion qui a échoué. Alors, qu’est ce que vous souhaitez dire ?

D. : Je voudrais dire que je ne suis pas d’accord, avec l’avocate, pendant la garde à vue on m’a posé des questions.
J : Sur quoi vous n’êtes pas d’accord ?
D. : Je ne suis pas d’accord parce que c’est pas ce que j’ai dit, ce qui est écrit. Moi j’ai pas participé à la dégradation et eux ils ont écrit que j’ai participé à la dégradation. Il y a beaucoup de choses. J’avais une avocate à côté de moi, j’ai demandé, j’ai dit, je n’ai pas dit ce qu’il est écrit, trois fois je l’ai dit à l’avocate. Tout ce qui est écrit c’est pas ce que j’ai dit. J’ai pas eu accès à mon dossier. Jusqu’à aujourd’hui je n’ai pas vu mon dossier. Je sais pas ce qu’on me reproche. J’ai pas eu de réponse. J’ai refusé d’avoir un avocat.
J : Et pourquoi vous avez refusé ?
D. : Parce que j’ai perdu confiance. [Il parle de son PV de garde à vue]. J’ai lu ce qui était écrit trois fois. Je lis j’étais pas d’accord, une deuxième fois je relis j’étais pas d’accord, une troisième fois elle est pas intervenue et puis à un moment donné elle m’a dit « ça commence à bien faire ». Voilà l’avocate ce qu’elle m’a dit. Donc j’ai refusé d’avoir un avocat.

Le juge lit le PV de la garde à vue, sans tenir compte du fait qu’il conteste les propos qui lui sont attribués. Il répond en insistant sur le fait qu’il a vu le trou par hasard, qu’il n’était pas assez grand pour laisser passer quelqu’un à ce moment et qu’il n’a en aucun cas participé aux dégradations. La juge continue à lire le PV qui sous-entend qu’il a participé en couvrant le bruit de la grille.

La personne réussit à reprendre la parole : « Par rapport l’évasion, n’importe qui il a un chien chez lui, qui le ferme pendant 48h, il va tenter de s’évader. L’être vivant, c’est comme ça. Moi je suis un être vivant. J’ai été en prison, de prison on m’a envoyé au centre de rétention, c’est la première fois de ma vie que je suis enfermé. Donc moi je pense et je crois, y a rien qui va changer, je crois profondément que c’est dans mes droits d’essayer de s’évader. Parce que je me sentais pas libre, n’importe qui va chercher sa liberté. Moi j’ai voulu chercher ma liberté, c’est dans les droits de chercher ma liberté [La juge tente de l’interrompre, mais il ne lâche pas]. Mais moi, de mon point de vue personnellement, j’ai pas fait un délit. Je vois pas pourquoi aujourd’hui je suis en prison. J’ai cherché que ma liberté. » La juge l’interrompt, triomphale et dans un rire de dédain : « Et bien précisément, Monsieur, c’est un délit ». Il ne se laisse pas déstabiliser et poursuit : « Un chien, on le met chez vous pendant 48h, il va tout faire, même il va se suicider, il va pas rester enfermé. Moi je suis pareil, je suis un être vivant. Voilà. Y’a des gens qui peuvent être incarcérés, moi je peux pas être incarcéré ». La juge s’impose et, dans un ton condescendant et moralisateur, fait la leçon : « Alors, je vous explique une chose, si vous ne comprenez pas la différence entre un chien et un être humain, le chien ne connait pas la loi et vous vous la connaissez. On en a fini avec les faits, je n’ai pas de question ».

L’audience s’enchaine avec les questions portant sur la personnalité, et insiste lourdement (aidée par le proc’ qui intervient en s’adressant directement aux détenus) sur les casiers judiciaires, les consommations potentielles d’alcool et de drogues. On apprend qu’une personne s’est vue refuser un suivi psychologique et qu’un traitement au Diazépam a été administré à deux détenus. Pour info, une utilisation prolongée de ce médicament peut entrainer un risque de dépendance.

On passe à la situation professionnelle avec cette perle de la juge qui fait réagir la salle : « j’ai juste dit que vous avez travaillé sur des chantiers, j’ai pas dit que vous étiez sans emploi, j’ai dit effectivement que vous êtes sans emploi depuis que vous êtes au centre de rétention ». La juge continue comme si de rien n’était…

Le procureur revient sur la terminologie du mot ’évasion’, qui ne peut pas s’appliquer dans le cas d’un centre de rétention, d’où l’infraction retenue : ’tentative de soustraction en réunion à une mesure de rétention administrative’ : « Mais bon, sociologiquement, ça ressemble quand même beaucoup à une évasion ». Il décrit alors minutieusement comment les prisonniers ont franchi le trou et va même jusqu’à parler de personnes essayant de passer le grillage « avec des cordes de draps noués comme on peut le voir dans les bandes dessinées et dans les films ». Il revient également sur les dégradations en indiquant que tout le monde est complice, les uns creusant, les autres couvrant le bruit.

Il retire le chef d’inculpation de dégradation et retient la tentative de soustraction. Puis il continue son argumentaire sur le cadre légal : « si chacun déterminait à ses yeux ce qui est un délit, une effraction ou un crime, il n’y aurait pas de société. Précisément il y a une loi qui détermine les faits qui sont interdits et les faits qui ne sont pas interdits. Mais en tout état de cause, la loi française prévoit lorsque l’on est dans une mesure de rétention administrative et qu’on cherche à s’évader de cette mesure de rétention administrative, s’y soustraire, c’est un délit, et c’est ce qui justifie ces poursuites ». Il enchaine avec la théorie du bon et du mauvais migrant : « Je tiens compte que ce sont quatre prévenus qui ont tous des antécédents judiciaires, ce ne sont pas des profils de personnes détenues administrativement [il se reprend pour le lapsus], retenues administrativement », « ceux qui cherchent à s’évader ne sont effectivement pas les gens qui sont des citoyens lambdas qui se retrouvent en situation irrégulière ».

Il demande quatre mois d’emprisonnement pour chacun avec maintien en détention.

C’est au tour de l’avocate de la défense, qui représente trois des détenus. Elle commence par le « souci linguistique » : « ils ont été placés en garde à vue pour une ’tentative d’évasion’ qui a été requalifiée en ’tentative de soustraction’ puisque l’évasion doit être pour un détenu de se soustraire à la garde à laquelle il est soumis. Et un détenu c’est quelqu’un qui est soupçonné d’avoir commis une infraction pénale ou qui en a commis une. Et les retenus ne sont pas des détenus, on l’oublie je crois, souvent. On l’a oublié un petit peu dans le cadre de cette procédure et ça pose question puisque, quels que soient leurs antécédents judiciaires, ils sont au Centre de Rétention Administrative car ils sont présents sur le territoire sans autorisation, c’est le seul tort qu’ils ont commis. » Elle explique ensuite ce qu’est un CRA : « C’est un lieu où les gens sont privés de liberté mais sans avoir commis la moindre infraction pénale. Un lieu dans lequel ils doivent rester le temps nécessaire à leur reconduite et dont on sait très bien que chaque année des dizaines de milliers de personnes passent au CRA et sont enfermées pour une durée maximale de 90 jours pour certains avec des enfants en bas âge. » Elle cite ensuite le rapport de la Contrôleure Générale des Lieux de Privation de Liberté publié le mois dernier, dont elle qualifie le passage sur les CRA d’« absolument affligeant » : ‘conditions de rétention insatisfaisantes, personnel insuffisant, conditions matérielles d’hébergement déplorables, locaux vétustes, exigus, mal entretenus, sales, accès aux soins insatisfaisant, agents non formés à la gestion de ces publics, utilisation systématique des menottes pour tout déplacement’. « On comprend mieux à la lecture de ce rapport que l’on puisse confondre soustraction et évasion, même si ces personnes-là ne sont pas détenues, ils en ont tout l’air. C’est un peu le Canada Dry de la détention le CRA, et ça pose au niveau des libertés fondamentales plein de questions ».

Elle rappelle ensuite le contexte : il y a un local de surveillance avec 9 écrans et 90 caméras, « le CRA est quadrillé », il y a actuellement 91 détenus, soit 1 caméra par détenu ! Et il y a même tellement de caméras que les flics finissent par en découvrir une ! Au début, ils pensent qu’aucune caméra n’a vue sur la zone du trou, et c’est d’ailleurs ce qu’indique les PV de 8h45 et de 10h. Et à 14h, ils découvrent la caméra qui a filmé l’entrée du sas menant vers le trou ! Au moment de la tentative, 23 membres du personnel sont présents dans le CRA, dont 19 attribués à la garde. [A ce moment-là, la juge se passe un coup de Labello…]. L’avocate s’étonne que personne ne les ait vus et ne les ait arrêtés dans un contexte de surveillance aussi resserré.

C’est au tour de la personne sans avocat d’assurer sa défense :

« J’ai demandé le 18 pour que je prépare ma défense. En prison, on m’a pas fourni le dossier pour relire la police ils ont dit, les faits qu’ils ont dit sur moi.
Pendant les interrogatoires, ils ont dit que j’étais en train de dégrader le trou, moi je tiens préciser à cette heure-là que le trou il était déjà fait. Pendant qu’on me voit dans la vidéo, j’étais en train de regarder, le trou il était déjà fait. Par rapport à M. H., lui la police il dit, je peux témoigner, vraiment il a rien fait, il a pas fait, ça je peux le témoigner pour M. H.. Par rapport à la loi française, par rapport après on a parlé pour dégradations, j’ai aucun lien avec les dégradations, je veux bien qu’on me le prouve, je veux bien qu’on me le montre la vidéo ou quelque chose, parce que j’ai pas pu monter le dossier. J’ai demandé en prison, 3 fois. Pendant 14 jours j’ai fait 3 demandes. Donc ça c’est par rapport aux dégradations. Mais par rapport à la tentative d’évasion. La tentative d’évasion, c’est vrai la loi française elle interdit ça. Mais moi comme être humain, aujourd’hui, même si on me met en prison, je trouve n’importe quel moyen de s’évader, je vais chercher ma liberté. Je suis un être humain, je suis un être vivant, moi j’ai frappé personne, j’ai fait de mal à personne, j’ai touché personne, j’ai juste cherché ma liberté. Y’a 100 ans de là, y’avait l’histoire de l’être humain, y’a que 100 ans qu’il y a les frontières, y’a 100 ans, juste 100 ans que y’a les frontières. Peut-être ça changera un jour. Je vais être jugé par ces lois-là, moi pour moi, c’est un procès politique déguisé dans une enveloppe de jugement d’affaires je sais pas comment dire. Pour moi, c’est injuste si je suis aujourd’hui en prison, parce que juste j’ai tenté de m’évader. Pourquoi j’ai tenté de m’évader. On m’a donné au centre de rétention de l’Ibuprofène, moi j’ai la maladie de Crohn, on m’a donné de l’Ibuprofène, mais j’ai pas pu vous donner d’ordonnance médicale qu’on me l’a prescrit, c’est dangereux pour ma santé. Une fois j’ai consulté un docteur, il m’a donné des antibiotiques pour ça.
Au centre de rétention, j’étais pas, je me sentais pas un être humain. Je me sentais… tout à l’heure j’ai dit un chien, un chien c’est un être vivant, pour moi il a total respect, pour moi n’importe quel être vivant, il doit avoir le respect. Aujourd’hui, moi je me trouve en prison, je trouve ça injuste, ça c’est mon point de vue personnel bien sûr, je trouve ça injuste que je, honteux aussi que je me trouve en prison à cause de ça. Dégradations, je veux bien qu’on me le prouve. Moi j’ai pas dégradé, j’ai rien fait ou quoi. J’ai pas pu préparer ma défense, Madame. Ça je sais pourquoi, je sais que j’étais, qu’on m’a pris mes papiers, que y avait une enquête de DGSI derrière moi. L’enquête de DGSI elle a donné rien. Aujourd’hui je suis en train de subir, c’est mon point de vue personnel Madame, je suis en train de subir aujourd’hui la torture, que j’ai rien fait du tout. Aujourd’hui, moi si on m’a pas pris mes papiers, je m’évaderais pas, je serais pas entré en prison, je serais pas là devant vous. Moi mes papiers ils me les ont pris injustement. J’ai un recours. Je considère pas que je suis sans-papier, non. Ma présence au centre de rétention, je la trouve aussi injuste. Donc injuste pour ce qu’on me reproche, un délit que moi je trouve pas un délit, n’importe quel être humain, n’importe quel être vivant va chercher, va faire pareil, voire même mieux, peut-être il va réussir, moi j’ai pas réussi, malheureusement. Ne le niez pas Madame, n’importe quel moment que j’aura un p’tit, un p’tit p’tit p’tit point que je pourrai m’évader… C’est pas contre la loi [la juge tente de l’interrompre : « On a bien compris », c’est juste pour récupérer ma liberté. C’est tout Madame. »

La juge tente de mettre un terme à sa plaidoirie, mais il souhaite ajouter quelque chose : « J’ai pas pu récupérer le dossier pour préparer ma défense. Je sais même pas si c’est légal ou pas. S’il vous plait, c’est vous qui va me dire ça : est-ce que c’est légal ? Aujourd’hui, j’ai lu rien depuis la garde à vue, jusqu’à ce moment-là, j’ai pas eu quoi que ce soit comme papier, madame. Vraiment, ça, c’est légal ou pas ? Je sais pas. » La juge ne voyant aucune trace de ces demandes dans le dossier, choisit d’ignorer complètement sa parole.

Le procès aura duré 1h15. Les quatre, avec ou sans avocat, sont finalement condamnés à quatre mois de prison ferme, comme le demandait le procureur.

Un procès comme tant d’autres, où les prisonniers du CRA témoignent de l’arbitraire des procédures réservées aux personnes étranger.es et de la déshumanisation qu’iels subissent au quotidien dans les lieux d’enfermement.

Un procès comme tant d’autres, où la justice se place en garante de l’application des lois racistes, sans jamais remettre en question le système dans lequel elles s’inscrivent, tout simplement parce qu’elle fait elle-même partie de ce système.

A bas les CRA, à bas les frontières, soutien à tous.tes les prisonnier.es !

CRA de St-Exupéry : peines de prison ferme pour avoir voulu manger son yaourt dans sa cellule

[Article initialement publié sur Rebellyon.info]

Le 28 avril au soir, au CRA de Lyon-St-Exupéry, les flics refusent une fois de plus qu’un détenu mange son yaourt dans sa cellule, ce qui entraine la révolte de plusieurs détenus. Quatre d’entre eux sont interpellés et passent en procès le mardi 30 avril : ils écopent de peines de 2 et 3 mois de prison ferme avec mandat de dépôt.

Le 28 avril, un détenu du CRA de Lyon-St-Exupéry souhaite sortir du réfectoire avec un yaourt pour le manger dans sa cellule. Les flics de la PAF refusent. Plusieurs détenus se rebellent et sont accusés d’avoir dégradé le bureau de l’OFII situé dans le CRA. Des camions de CRS arrivent, les keufs sont armés de tasers. Ils s’en servent sur un détenu qu’ils placent ensuite à l’isolement (cette personne a depuis été déportée), et envoient quatre personnes en garde à vue.

Celles-ci sont donc passées en comparution immédiate le mardi 30 avril, devant une cour puante de mépris et une salle ricanante.

Il leur est reproché d’avoir lancé une fontaine à eau ainsi qu’un clavier d’ordinateur, le tout appartenant à l’OFII, d’avoir dégradé la porte et des objets du bureau, ainsi qu’un « refus de soumission à la signalétique ».

La juge raconte qu’à la fin du repas au CRA, une personne aurait souhaité emporter de la nourriture avec elle. Elle serait devenue « agressive » face au refus, se serait déshabillée, puis qu’elle ou d’autres seraient montées sur la table. Les flics auraient alors évacué le réfectoire et parqué tout le monde dans la petite cour. Là, le bureau de l’OFII aurait été dégradé : les dossiers auraient été vidés – oulala -, les tiroirs renversés – rhôoo -.

En s’appuyant sur la vidéosurveillance, la juge accuse quelqu’un d’avoir dégradé un panneau d’affichage. Une vitre ayant été brisée, et une personne ayant récupéré le verre, elle ajoute « on peut se demander pour en faire quoi ? », laissant entrouverte la boite à fantasmes – déjà bien fracturée – de la justice.

Elle demande ensuite aux détenus de s’expliquer sur ce qui leur est « reproché ». L’un d’entre eux dit qu’il n’a pas eu le traitement auquel il a normalement accès. Un deuxième explique avoir donné deux coups de pied dans la porte, et avoir été relaxé après un an et demi de prison, puis amené directement au CRA ; il dit qu’il n’en peut plus, et montre son corps et ses bras lacérés de coupures. Un troisième déclare être rentré et sorti, et avoir cassé le téléphone mais que sinon il n’a rien fait. Un quatrième conteste être entré dans le bureau.

La juge rappelle qu’à la suite des faits, deux des accusés ont été amenés à l’hôpital : l’un au CHU et l’autre en psychiatrie.

Là, le procureur poursuit le taf et s’en réfère, bien sûr, au procès-verbal d’exploitation de la vidéo-surveillance – parce que dans ces cas-là, les vidéos, elles marchent bien, t’inquiète ! Il commente en précisant qu’on voit quelqu’un mettre deux coups de pied dans la porte puis dans le tableau. Il justifie l’intervention des flics par la « fébrilité du CRA en ce moment » arguant qu’ils ne peuvent laisser ce genre de scène se produire.

Il requiert – tranquille – 5 mois de prison pour les deux détenus qui ont déjà un casier, et 3 mois pour les deux autres.

Il termine de façon abjecte et requiert une peine d’emprisonnement pour les quatre détenus « afin de maintenir le calme dans le CRA, parce que c’est quand même un lieu où il peut y avoir des familles ».

Et là, l’avocate de la défense prend la parole et parle d’un contexte de rébellion et d’affolement dans le CRA qui a impliqué plusieurs individus, « chacun avec son histoire, chacun avec son destin ». Un détenu intervient pour parler et montrer ses cicatrices. L’avocate se retourne et, sans même le regarder, lance un « Par contre, ne m’interrompez pas ! », puis enchaîne.

Elle va même jusqu’à dire : « De plus, ils ont avoué leur participation, madame la juge, vous voyez bien, c’est tout à leur honneur ». Elle rajoute que ce qu’ils ont tous en commun c’est d’être en situation irrégulière sur le territoire. Elle base sa défense d’une part sur l’effet de groupe pour dire que les détenus se seraient montés la tête les uns les autres, et d’autre part sur l’attroupement pour dire que ses clients n’étaient pas les seuls responsables. Elle met en avant que deux des quatre accusés n’ont pas d’antécédents judiciaires. Tant pis pour les deux autres. Pour eux, elle se contente d’évoquer un « sentiment d’injustice, de désarroi, de colère qui peut être vu comme une manière de s’exprimer ».

Pas UN mot sur le CRA, pas UN mot sur les violences générées par l’Etat. RIEN. Son angle de défense individuel invisibilise totalement les conditions d’enfermement dans lesquelles l’État maintient les personnes sanspapiérisées. L’avocate s’est donc contentée de résumer cette révolte à un pétage de plomb général.

Les détenus ont la parole en dernier : l’un d’eux souhaite repartir en Espagne dès que possible ; un deuxième a « envie de voir le jour » ; un troisième a « besoin de liberté » et le quatrième dit qu’il a « confiance en la justice ».

Verdict :
2 mois de prison ferme avec mandat de dépôt pour les deux détenus sans casier
3 mois de prison ferme avec mandat de dépôt pour les deux détenus avec casier

Alors que l’Etat rafle les étranger.es pour les enfermer, toute tentative de révolte pour protester contre les conditions déshumanisantes est systématiquement réprimée, aussi bien sous les coups de matraque de la police que sous les coups de maillet de la justice. Ces deux institutions bossent main dans la main : l’une tabasse les indésirables pendant que l’autre s’assure de les maintenir en position de se faire tabasser. Tant qu’il y aura des avocat.es pour suivre la ligne des proc’, tant qu’il y aura des juges pour appliquer un droit répressif et raciste, alors les sans-papier.es continueront de croupir dans les geôles de l’Etat dans l’attente de l’organisation de leur déportation.

A bas les CRA, à bas les frontières et soutien à tous.tes les prisonnier.es !

Retour du rassemblement devant le CRA de St-Exupéry

[Article initialement publié sur le site Rebellyon.info]

En réponse à l’appel au secours diffusé le lundi 15 avril et en soutien à tous.tes les prisonnier.es, un rassemblement a été organisé devant le CRA de St-Exupéry réunissant plus d’une soixantaine de personnes. Voici un retour du rassemblement du mardi 23 avril.

Samedi 13 avril, des personnes détenues ont tenté de s’évader du CRA de St-Exupéry. Suite à ces tentatives d’évasion, les flics se sont vengé.es en réprimant les personnes emprisonnées au CRA. Iels ont infligé des punitions collectives : gazages, tabassages, maintien en cellule… Lundi 15 avril, une personne détenue a tenté de se suicider. Les personnes à l’intérieur se sont révoltées et l’une d’elles a lancé un appel au secours et à mobilisation qui a été diffusé le lendemain.
En réponse à cet appel et en soutien à tous.tes les prisonnier.es, un rassemblement a été organisé et une soixantaine de personnes ont répondu par leur présence.

Déroulé du rassemblement
18h15 : les flics se mettent en place, ils sont une dizaine à l’entrée principale et 6-8 devant l’entrée du cargoport qui longe le CRA.

19h : Arrivée du cortège composé d’une soixantaine de personnes. Les banderoles sont déployées (« Ni PAF, ni Rafle, Ni Prison, Ni Expulsion »), des slogans sont scandés (« Freedom, Houliya, Liberta », « Tout le monde déteste la police », « No border, No Nation, Stop Deportation », « Carte de séjour, carté d’identité, ce ne sont que des papiers, il faut les brûler ») sous le bruit des casseroles et des tambours. On lit l’appel à rassemblement, les prisonnier.es nous entendent et répondent en criant.

19h45 – 20h15 : On appelle des personnes enfermées, plusieurs personnes prennent la parole dans différentes langues (italien, portugais, allemand, anglais, français, arabe…). Ils parlent des conditions d’enfermement, de leur parcours et de toutes les violences qu’ils ont subi et subissent.

Après 20h15 : A l’intérieur, ils chantent des slogans « Liberté, liberté », que l’on reprend ensemble. Ils essaient de se rassembler mais les flics les gazent et les enferment en cellule collective. Ils les ont privé de repas.

20h45 : on bouge devant l’entrée principale à leur demande. Les flics nous suivent. D’autres keufs de la paf et de la nationale sortent du CRA, ils s’équipent. Iels sont en tout une vingtaine.
On se rapproche des grillages, on reprend « liberté liberté », ça dure quelques minutes puis les flics arrachent les banderoles et nous aspergent de spray de gel lacrymo poivre et piment. Iels nous chassent à coups de tonfa et d’insultes sur 400m.

Témoignage d’un prisonnier du CRA de Lyon Saint-Exupéry, mars 2019

Je sais pas si tes copains t’ont expliqué mais j’ai entendu dire que tu t’étais ouvert les mains et je voulais savoir si tu voulais expliquer pourquoi tu avais fait ça et pour qu’on le passe à la radio.

Bah j’ai fait ça parce que j’ai des enfants ici et qu’ils veulent m’expulser au pays. Je comprends pas pourquoi ils veulent m’expulser au pays, j’ai un enfant de quatre ans et un enfant de cinq ans et ils veulent m’expulser au pays. Ils m’ont fait un premier vol et le deuxième vol, je l’ai refusé et voilà ! Et là, je me suis charclé et j’attends, j’attends pour mon jugement et je regarde, quoi.

D’accord et tu as fait ça quand ?

Bah j’ai fait ça, enfaite c’était vendredi dernier. Au lieu de me ramener faire des points de suture, ils m’ont foutu là, ils m’ont ramené à l’isolement, ils m’ont gardé toute la nuit là-bas.

Ils t’ont amené à l’infirmerie quand même ou pas ?

Bah rien du tout, ils m’ont nettoyé juste le truc, et j’ai au moins treize points de suture, ils m’ont rien fait.

D’accord tu t’étais ouvert où ? Les poignets ?

Bah j’ai neuf points à peu près dans la main et treize points dans les pieds.

Donc ils t’ont quand même fait des points ?

Ouais. Bah ils ont vu, la CIMADE. Ils sont passés, une association aussi, ils sont passés. Bah ils ont pris l’ouverture, à deux millimètres et quelques. Il y a une ouverture, à peu près, elle est à treize millimètres. Normalement, c’est des points de suture, c’est ce qu’ils m’ont dit, mais, l’infirmière, elle m’a rien dit. C’est le docteur qui a dit : « ouais, ben mettez-le à l’isolement. »

 Donc tu as été mis à l’isolement, et là tu es sorti de l’isolement ?

Ouais.

Bah, je te remercie pour ton explication.

Il y a pas de souci. Mais à part ça, c’est le bordel aussi, là. L’infirmière ici, ils font n’importe quoi aussi, pareil. Et comme à le Forum, ils aident pas les gens, ici, ils expliquent rien aux gens, les gens, ils appellent la CIMADE et les gens de la CIMADE qui passent ici, ils aident un petit peu. Mais le Forum, il y a un bureau de le Forum, c’est pour aider les étrangers. Ils aident rien du tout. Il y a une infirmière aussi, ils font pas leur boulot comme il faut, c’est comme le médecin, c’est comme tout le monde. Les gens, ils ont attrapé des maladies, ils ont la gale et tout, ici, l’infirmière elle s’en fout. Il y en a un la dernière fois qui a fait une crise ici, aussi, pareil. Ils s’en foutent aussi. Ils leur donnent des médicaments, n’importe quoi, vraiment, ça sert à rien du tout.

Soirée de soutien contre les frontières et leurs prisons ! Discussions et projection le dimanche 21 Avril

« Dimanche 21 Avril à l’Amicale du Futur, de 18h à 23h, des interventions, une projection du court métrage « l’Autre côté », des témoignages écrits, des tables de presse et une cantine végane de Libération Animale Solidaire… Bref, toutes les infos pour rejoindre concrètement les luttes contre les frontières et leurs prisons.

Pour les exilé.es racisé.es, la frontière se matérialise dans la forme la plus cruelle, incarnant un racisme systémique : chasses à l’homme dans les montagnes causant la mort de plusieurs d’entre elleux, rackets, ratonnades… Loin des privilèges blancs, les frontières sont une réalité absurde et mortelle que les gouvernements européens infligent aux populations souvent issues de leur colonisation. Leur existence est combattue par celleux qui les traversent à leurs périls, et par des militant·es qui les soutiennent.

Mais une fois les montagnes franchies, le harcèlement continue, et l’état enferme dans les CRA « les illégaux », ces humain·es peu à peu déshumanisé.es par l’arsenal répressif judiciarisé. Le harcèlement continue à travers la traque des flics, la criminalisation des étranger.es par la justice, et leur enfermement dans les CRA.

Le CRA c’est quoi ? C’est “pire que la prison” selon les témoignages. Les Centres de Rétention Administrative sont les lieux où l’on enferme des hommes des femmes, des enfants, au seul motif qu’ielles n’ont ni la bonne nationalité, ni les bons papiers pour avoir le droit de vivre là où ielles le souhaitent. “On n’est pas des criminels”.
En 2016, 1189 personnes ont été incarcérées au CRA de Saint-Exupéry, 211 en sont sorti·e·s. Les autres ? Déporté·e·s ou envoyé·e·s en prison pour plus tard… les déporter.

Dimanche 21 Avril à l’Amicale, de 18h à 23h, des interventions, une projection du court métrage « l’Autre côté », des témoignages écrits, des tables de presse, et une cantine végane de Libération Animale Solidaire…. Bref, toutes les infos pour rejoindre la lutte concrètement.

En soutien aux personnes détenu.es au CRA de Saint Exupéry, une boîte à dons sera à votre disposition, et vous pouvez dès maintenant prévoir de ramener à cette soirée :

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- URGENT : des téléphones sans appareil photo (avec chargeur, surtout si ce n’est pas un chargeur universel)
- ballon de foot
- dentifrice
- gel douche
- shampooing
- sous-vêtements neufs (homme ou femme du 36 au 44)
- chaussettes chaudes
- chaussures homme 42/43
- pulls
- biscuits
- magazines (à l’intérieur il n’y a rien à faire d’autre que de
regarder la télé)
- thunes en liquide »

 

Liens vers les sites :

https://amicale.online/2019/04/09/soiree-soutien-contre-les-frontieres-et-leurs-prisons/

https://rebellyon.info/Contre-les-frontieres-et-leurs-prisons-20527