Les CRA : criminalisation, emprisonnement et déportation
Les centres de Rétention Administrative (CRA) sont des prisons pour les étranger.es auxquel.les on ne reconnaît pas le droit de séjourner en France. Ils sont pensés pour les enfermer puis les expulser hors du territoire français. Le CRA constitue l’ultime étape de la répression contre les personnes étrangères pour les déporter de force et s’assurer qu’ils et elles ne vont pas revenir. Le CRA en lui-même ne peut fonctionner seul. Il fait partie d’un système, réunissant différentes institutions et différent.es acteurs.rices [1], cherchant à emprisonner, isoler, dégoûter torturer et déporter les étranger.es en dehors des frontières. Le « système CRA » s’assure qu’il n’existe aucune faille qui permette aux personnes étrangères de s’en sortir. Un des éléments majeurs de ce système est l’appareil judiciaire, qui légitime la criminalisation des personnes et leur répression en les inscrivant dans un cadre légal.
La justice fait partie intégrante du « système CRA » ; le vocabulaire et les codes qu’elle mobilise aussi. C’est pourquoi nous avons fait ici le choix de ne pas reprendre des termes juridiques forgés dans le seul objectif de cacher le traitement déshumanisant réservé aux personnes sanspapiérisées et de les réprimer. Ainsi nous utiliserons par exemple le terme de prison à la place de la catégorie administrative « rétention », puisque le CRA est bien un lieu d’enfermement pour des personnes criminalisées par la préfecture, le tribunal administratif, et le tribunal de grande instance. La rétention n’a de sens que pour les acteurs.rices qui la pensent et l’appliquent, sans corrélation avec la situation des personnes qui subissent la punition de l’enfermement au motif d’être étrangères.
Nous emploierons également le terme de déportation pour désigner ce que l’administration nomme faussement « mesure d’éloignement » ou « expulsion ». En effet, le terme de déportation désigne le fait qu’un Etat, pour des motifs politiques [racisme], interne des personnes dans des camps [CRA] pour les expulser hors du territoire national dans un lieu de son choix .
1. Déclenchement de la machine à enfermer et déporter
Lorsqu’une personne est arrêtée par la Police et qu’elle est considérée en situation irrégulière, elle est enfermée dans les locaux de la police aux frontières (PAF). Le ou la préfet.e peut alors décider de son emprisonnement au CRA pour 48 heures, et organiser sa déportation avant même qu’elle soit déférée devant un tribunal. Si la préfecture n’a pas réussi a déporter la personne enfermée durant ce laps de temps, le ou la préfet.e saisit le ou la Juge des libertés et de la détention (JLD) pour prolonger l’enfermement, puis la personne comparaît devant un tribunal. Le ou la JLD a trois possibilités pour statuer :
- la prolongation de la détention
- l’assignation à résidence
- la non prolongation de la détention
L’audience n’est pas destinée à remettre en cause le placement en détention d’une personne sanspapiérisée mais uniquement à délibérer sur la durée de la détention. Le procès au JLD statue seulement sur la prolongation de l’emprisonnement. Le cadre juridique permet ainsi d’enfermer a priori un.e sans-papier.e pendant 48 heures – auxquelles s’ajoutent les heures d’enfermement passées dans les locaux de la PAF – suite à un simple contrôle d’identité. Le « maintien irrégulier » sur le sol français est effectivement considéré comme un crime légitimant en lui-même l’enfermement instantané, sans même qu’un passage devant un tribunal soit nécessaire.
La loi asile et immigration portée par G. Collomb – alors ministre de l’intérieur et aujourd’hui redevenu maire de Lyon – a été adoptée en août 2018 et est entrée en vigueur le 1er janvier 2019. Son nom complet est cynique : « pour une immigration maîtrisée, un droit d’asile effectif et une intégration réussie ». La maîtrise de l’immigration, ça veut dire que l’Etat français choisit et sélectionne les personnes autorisées à exister sur le territoire français. Les indésirables seront traqué.es, emprisonné.es et déporté.es. Quant au « droit d’asile effectif », c’est un leurre pour mieux trier, contrôler et assujettir les personnes immigrées. Et « l’intégration réussie », c’est du racisme. Cette loi a renforcé le système CRA : elle double la durée maximale d’enfermement en la faisant passer de 45 à 90 jours, et accroît la possibilité d’expulsion sans décision de justice (le délai du rendu de jugement a été repoussé à 48 heures et il est non suspensif de la déportation).
2. Les audiences en JLD : enfermer pour une expulsion déjà actée
Dans les procès en JLD, la prolongation de l’enfermement est déconnectée de l’obligation de quitter le territoire français (OQTF) ou de toute autre décision illégalisant la présence de la personne sur le territoire. En effet, lorsque les prisonnier.es la contestent au sein du TGI (tribunal de grande instance), le ou la juge, comme les différent.es avocat.es, coupent court et expliquent que le jugement sur l’OQTF ne relève pas de leur mandat mais de celui du tribunal administratif. Aucune remise en cause de l’OQTF n’est permise alors même qu’elle est la raison qui légalise l’enfermement.
De par cette dissociation, les arguments mobilisés lors des procès en JLD sont jugés au regard de combien cet enfermement facilite et est nécessaire à l’expulsion. L’expulsion n’est jamais remise en cause, d’autant plus que faire appel de son OQTF n’est pas suspensif et peut prendre jusqu’à 6 mois : les sanspapiérisé.es peuvent ainsi être déporté.es alors même qu’iels ont entamé une procédure de recours.
Et même lorsque l’OQTF n’existe plus, cela n’empêche pas la justice de continuer à enfermer et à déporter. C’est le cas des personnes qui ont été arrêtées avec une interdiction de retour dans le territoire français (IRTF). Celle-ci interdit à la personne de revenir sur le territoire français pendant une durée qui peut aller jusqu’à 5 ans. Son délai d’expiration ne commence qu’une fois que les personnes sanspapiérisées ont quitté le territoire. Des étranger.es dont l’OQTF a expiré mais pas l’IRTF sont ainsi illégalisé.es à vie dans la mesure où tant qu’iels ne sont pas sorti.es du territoire, la justice peut les enfermer et les déporter sans qu’une nouvelle OQTF ne soit nécessaire.
Toujours dans l’objectif d’assurer l’expulsion systématique des étranger.es, les autorités françaises sont prêtes à falsifier l’identité des sanspapiérisé.es. En effet, certains pays, comme le Congo par exemple, ne délivrent pas ou peu de laissez-passer. Ainsi, de nombreuses personnes congolaises se voient attribuer la nationalité angolaise pour faciliter l’obtention de laissez-passer, et donc leur déportation. Les audiences en JLD ne permettent pas aux personnes concernées de contester leur assignation à une fausse identité, et donc l’expulsion vers un pays qui n’est pas leur pays d’origine. En effet, la décision d’expulsion est considérée comme acquise par la juridiction du JLD qui n’en autorise aucune remise en question. Tout argument mobilisé pour la contester est ainsi rejeté.
La déportation étant pensée comme objectif à atteindre, lorsque l’enfermement est considéré comme lui étant nécessaire, il n’existe aucun moyen légal de le remettre en cause. Tous ces passages au tribunal donnent ainsi un cadre de disciplinarisation aux détenu.es. Ils donnent l’illusion que quelque chose se joue lors de ces procès, alors même que l’OQTF a déjà acté la possibilité pour l’Etat, les administrations et la justice de se parer de tous les moyens possibles pour détruire et se débarrasser des étranger.es.
3. Les 3 non-issues des audiences JLD
Trois scénarios sont possibles au terme d’une audience devant le JLD.
- Peine de prison ferme avec mandat de dépôt : emprisonnement au CRA
Le ou la juge ordonne que la personne soit maintenue au CRA pour un mois supplémentaire. C’est la situation qui arrive dans la grande majorité des cas. L’objectif de ce procès est d’assurer le moyen légal de prolongation de l’emprisonnement des personnes étrangères.
- Peine de prison à domicile : assignation à résidence
L’avocat.e de la défense demande l’assignation à résidence. Cela veut dire que la personne, à l’issue de l’audience, est sortie de l’enceinte du CRA mais qu’elle doit pointer au commissariat à une fréquence déterminée par les autorités sur une durée qui peut aller de 45 jours à 6 mois. L’assignation à résidence est conditionnée par des « garanties de représentation », elles-mêmes soumises à l’arbitraire des juges. Les garanties de représentation sont des preuves de ce que les administrations et la justice considèrent comme « conditions de vie stables » en France (papiers d’identité en cours de validité, justificatif de domicile, contrat de travail, de mariage, etc.).
Il est absurde que la préfecture et la justice demandent des preuves de conditions de vie stable à des personnes qu’elles-mêmes instabilisent, en les irrégularisant. Elles imposent un cadre juridique raciste destiné à contrôler les individu.es et qui est d’autant plus répressif pour les sanspapiérisé.es. En effet, les administrations exigent d’elleux des garanties d’intégration alors même qu’elles organisent leur exclusion. Trouver un logement nécessite des papiers réguliers, une connaissance des institutions, mais également une sécurité de revenu qui est légalement impossible à obtenir pour des personnes sans-papiers en France. Et quand bien même la personne a des garanties de représentation, la justice raciste en demandera toujours plus aux étranger.es : elle présuppose que la personne est malhonnête et exige d’elle de prouver sa légitimité à être sur le territoire, sans jamais que ce soit suffisant puisque le but est de l’enfermer et de la déporter.
Dans un système destiné à emprisonner, l’assignation à résidence, que les avocat.es présentent comme une solution, n’est qu’un autre moyen d’enfermer. Du fait du pointage régulier au commissariat qu’elle impose, elle est surtout un moyen de placer les étranger.es dans une situation d’autocontrôle. Pas besoin de construire une nouvelle cellule ni d’employer des matons, l’étranger.e doit lui/elle-même se surveiller. Iel est ainsi mis.e de force à contribution dans le système CRA, dans la privation de sa propre liberté. Être assigné.e à résidence ne correspond pas à une sortie du système CRA. L’assignation à résidence consiste à décaler les violences inhérentes au CRA à l’échelle du domicile. Celui-ci devient en lui-même un espace de frontières au sein duquel la personne est enfermée, chez elle, et doit organiser, par ses propres moyens, sa déportation.
Ainsi, des preuves d’intégration sont exigées par la justice pour mettre en œuvre les expulsions.
En plus du CRA, l’assignation crée une autre prison : le domicile. Si la PAF, la préfecture et le tribunal considèrent que la personne sanspapiérisée ne s’emprisonne pas suffisamment, par exemple parce qu’elle n’est pas allée à un pointage, alors elle est réenfermée au CRA. L’objectif est d’enfermer les étranger.es dans un système qui permet la démultiplication des lieux d’enfermement. Le choix d’un lieu de prison ou d’un autre est laissé au bon vouloir des différentes institutions.
- Grippage temporaire dans la machine à enfermer : sortie du CRA mais toujours emprisonné par l’OQTF.
Lorsqu’un vice de procédure (interpellation non règlementaire, non notification de ses droits, durée de la garde à vue…) est soulevé et retenu par la ou le juge, cette/ce dernier.e peut décider de ne pas prolonger l’enfermement. La personne est toujours sous Obligation de Quitter le Territoire Français et/ou sous Interdiction de Retour sur le Territoire Français. Il n’est pas question ici de remettre en cause l’enfermement des étranger.es mais de savoir s’il s’est déroulé en bonne et due forme.
Les vices de procédures ne sont souvent mobilisés que lors de la première audience en JLD. Elle fait suite au lancement de procédures administratives et judiciaires qui ont pu faillir au cadre procédural imposé. Lorsque le JLD acte la légalité de la procédure de mise en détention et ordonne la prolongation de l’enfermement, le système judiciaire se verrouille encore davantage, car l’emprisonnement est jugé conforme à la loi. Il n’existe ainsi plus que très peu d’arguments légaux pour plaider en faveur de la sortie du CRA. Dans la mesure où la non-exécution de la déportation est le principal motif légal pour justifier de la prolongation de l’enfermement, celui-ci est presque systématiquement reconduit.
En détaillant ces différentes trames, on comprend que le JLD porte mal son nom : son rôle est toujours d’enfermer, dans les prisons pour étranger.es le plus souvent, ou dans les alentours de la résidence sous surveillance policière quotidienne. Cette mesure est rare, elle est considérée comme « exceptionnelle ». Les micro-procès de prolongation s’enchaînent ainsi sans offrir d’issues : soit on retourne au CRA, soit on sort pour être enfermé à son domicile avec obligation de rendre des comptes à la police, soit on sort du CRA avec l’obligation de quitter le territoire au plus vite.
L’étrangèr.e est pris.e dans un enchevêtrement institutionnel, un dispositif répressif mortifère qui le/la fait passer comme une balle de ping-pong des mains de la police municipale à celles de la PAF, de la PAF à le/la juge avant que ça ne recommence. Même quand la personne sort du CRA, elle est toujours sous OQTF. Iel est toujours vu.e par la justice comme un.e criminel.le qui peut de nouveau être enfermé.e au CRA lors d’un prochain contrôle d’identité. Les trois non-perspectives sont pensées pour réprimer et expulser.
- La cour d’appel : une voie sans issue
Suite à l’audience en JLD, les détenu.es peuvent faire appel (lorsque la ou le juge/les avocat.es daignent les informer et/ou ne les en découragent pas) dans les 24 heures qui suivent le délibéré du procès. Dans ces cas-là, iels passent 48 heures plus tard à la Cour d’appel, au tribunal des 24 colonnes à Lyon (Rue du Palais de Justice, 69005), les matins à partir de 10h30. L’audience n’est destinée qu’à faire examiner par un second juge les éléments apportés en première instance. En effet aucun.e nouvel.le argument/preuve ne peut, en théorie, être soulevé.e par la défense. Par conséquent, les avocat.es qui choisissent de ne pas plaider lors des premières audiences en avançant qu’iels n’ont pas d’observation et qu’iels s’en remettent à la décision du/de la juge contribuent à sceller le sort des sans-papier.es. Le recours en appel est une illusion supplémentaire pour faire croire aux détenu.es qu’iels ont la possibilité de s’extirper d’un système qui est conçu pour les enfermer. La loi définit tout nouvel élément apporté comme irrecevable, et les avocat.es choisissent de suivre ce droit répressif à la lettre en abandonnant ainsi la défense des personnes sanspapier.es.
Nik la justice qui…
L’objectif des procès JLD est d’assurer la déportation et l’emprisonnement des sans-papier.es dans le CRA. La justice punit et fait payer les sanspapiérisé.es pour s’être maintenu.es sur le territoire en les enfermant au CRA. Ainsi, même des personnes qui n’attendent qu’un vol pour fuir le CRA et l’Etat qui les y a enfermées et détruites sont condamnées, à rester isolées et emprisonnées parce qu’elles sont sanspapiérisées. Elle les condamne donc à la faim, au refus des soins et au shootage par le corps médical, aux mains sadiques de la PAF, aux violences psychologiques de l’enfermement… La justice légalise ainsi la torture, l’isolement et les violences inhérents au système CRA. Elle permet l’appropriation des corps des personnes soumises au bon vouloir de l’administration. Elle leur fait bien comprendre que c’est elle qui décide ce qu’elle fait d’elles et eux, dans l’espace et dans le temps, en les maintenant dans une incertitude inhérente à la répression du système CRA.
… Sous couvert du droit, les juges, les avocat.es de la préfecture et de la défense et les greffier.es organisent l’enfermement, la torture et la déportation des étranger.es.
La lutte en soutien aux sans-papier.es n’a rien à réclamer à la justice puisque c’est elle qui les criminalise et les réprime.
A bas la justice, les CRA et les frontières qui assassinent et soutien à tous.tes les prisonnier.es.