Anis est au CRA 2 de Lyon-Saint-Exupéry depuis fin octobre 2023. Il vit en France depuis 42 ans. Ce texte est la transcription d’un témoignage audio du 15 décembre 2023. Anis y parle notamment des conditions de vie dans le CRA, des violences policières, de la complicité des médecins et de Forum Réfugiés, de l’insalubrité des bâtiments et du non-respect du droit des détenu·es à communiquer via les cabines téléphoniques, ainsi que des nombreuses démarches qu’il a entreprises auprès de la justice et du Contrôleur général des lieux de privation de liberté pour faire respecter ses droits. Force à lui.
– Est-ce que tu veux raconter la situation dans le CRA en ce moment ? Comment ça se passe pour toi et pour les autres ?
– Oui je peux raconter la situation au CRA. Sachant que j’étais déjà là pendant 2 mois cet été, à Lyon. Il me semble que c’était le 18 août, dans le bloc 4 où j’étais, les personnes ont mis le feu. Après j’ai été transféré à Nîmes. Moi je suis arrivé le 18 au soir [à Nîmes], et le 20 il y a eu le feu aussi là-bas, suite à une panne d’électricité. Après, vu que j’étais déjà cet été ici [au CRA de Lyon], il m’était arrivé un problème avec un policier. Il est monté un peu dans les tours donc j’avais porté plainte contre lui. J’avais aussi porté plainte contre un docteur de l’ordre des médecins.
– Ca c’était en août, à Lyon ?
– Oui. C’est le 20 juillet qu’il y a eu l’altercation avec le policier, en fait… gratuitement. Ce qu’il s’était passé c’est que le Contrôleur Général des Lieux de Privation de Liberté s’était déjà rendu, il me semble vers le mois d’avril ou de mai ou de juin, au centre de rétention de Lyon, et il avait fait un rapport par rapport à ça. Donc moi je leur avais aussi apporté un témoignage qui avait été fait le 8 août, et eux ils m’avaient répondu par lettre, non, par mail, le 23 octobre il me semble.
– Tu veux nous dire ce qu’ils t’ont répondu ?
– Je peux te lire le courrier. Juste je le cherche… Là je leur ai réécrit une lettre y’a pas longtemps. Voilà, alors la lettre elle est là. En fait j’étais passée par une amie, j’avais envoyé le mail avec Forum sur sa boîte mail, ce qui fait que quand ils ont répondu ils l’ont envoyé chez elle, et elle me l’a transféré sur ma boîte ici. Donc je te lis :
« Madame,
Je fais suite à votre courrier électronique du 8 août dernier par lequel vous alertez le contrôleur général des lieux de privation de liberté sur la situation de Monsieur Anis, retenu au centre de rétention administrative de Lyon au cours de l’été 2023. J’ai pris connaissance de ce signalement avec attention et je vous prie de bien vouloir excuser le délai au terme duquel j’y donne suite. Le témoignage de Monsieur fait pleinement écho au constat recueilli par mes services lors de la première mission de contrôle de ce centre par le CGLPL, du 13 au 17 mars dernier. Les graves atteintes au droit constatées lors de la visite de cet établissement et de 3 autres centres de rétention administrative à la même date au Mensil-Amelot, à Metz et à Sète ont donné lieu à la publication de recommandations dites « urgentes » au journal officiel du 22 juin 2023. La première ministre, ainsi que le ministre de l’Intérieur et le ministre de la Santé, en ont été destinataires. Le CGLPL estime en effet, à l’issue de ces visites, qu’il y a urgence à modifier profondément l’approche actuelle en matière de prise en charge des étrangers placés en CRA. Sans une volonté résolue d’assurer le respect des principes qui régissent en droit français le recours à la rétention administrative, sans une élévation des standards concernant les conditions de rétention, et sans une professionnalisation accrue des fonctionnaires en charge de la mise en œuvre de ces mesures, les atteintes sévères à la dignité et aux droits fondamentaux des personnes retenues se poursuivront. Les pratiques d’isolement et de contention observées au CRA de Lyon ont spécifiquement fait l’objet de la recommandation suivante : « Il doit être mis fin sans délai aux mesures d’isolement et de contention prises à l’encontre de personnes retenues, aucune disposition législative ne permettant le recours à de telles mesures en dehors du cadre des soins sans consentement strictement défini par le code de la santé publique ». Le témoignage de Monsieur a ainsi particulièrement retenu mon attention. Il en sera tenu compte dans le cadre du suivi des recommandations du CGLPL auprès des autorités locales et nationales. Je prends acte que l’intéressé a déposé plainte pour des faits de violence dont il se dit victime de la part de plusieurs policiers survenus au mois de juillet dernier. En application de la convention suite à notre restitution, je transfère le témoignage de Monsieur au Défenseur des Droits pour compétence. L’une des missions de cette autorité est en effet de veiller au respect des règles déontologiques applicables aux professionnels de la sécurité. J’encourage s’il le souhaite Monsieur à lui transmettre également son témoignage ainsi que toutes les pièces utiles à la compréhension de ses difficultés et des démarches qu’il a entreprises pour les dénoncer : certificats médicaux, réponses des autorités saisies, etc.
En vous remerciant de m’avoir alerté sur cette situation, je vous prie de bien vouloir agréer l’assurance de mes sentiments les meilleurs. »
Donc ça c’est la lettre que j’ai reçue le 23 octobre. Et là le 30 novembre j’ai réécrit au CGLPL en mettant comme objet les conditions de vie au CRA. Tu veux que je la lise ?
– Oui vas-y.
– « Madame-Monsieur le Contrôleur général des lieux de privation de liberté,
Par la présente, je tiens à attirer votre attention sur les conditions de vie inhumaines au centre de rétention administrative de Lyon-Satolas. Ce sont certains policiers d’une même équipe qui abusent de l’autorité, qui font preuve de violences verbales envers les retenus, qui les bousculent afin de les provoquer pour une confrontation physique. Ces policiers sont couverts par leur hiérarchie au sein du CRA.
De plus, le service médical du centre est par conséquent complice des violences physiques et verbales sur les retenus en ne leur délivrant pas de certificat de constatation médicale. Il est essentiel de garantir la sécurité et la dignité ainsi que le respect des droits fondamentaux de toutes les personnes retenues. Je vous demande également de faire en sorte que les violences policières soient condamnées et que les retenus se sentent en sécurité en les informant de leur droit de porter plainte en cas d’abus.
Je tiens à vous faire part que les lieux de vie sont insalubres. Les chambres n’ont pas de fenêtres, ce qui expose les retenus, en particulier pendant des périodes de mauvais temps, au froid ainsi qu’à l’humidité, ce qui peut aggraver leur état de santé déjà fragile. Les douches ne sont pas nettoyées quotidiennement ce qui engendre des moisissures, de la crasse au sol. Certains retenus sont restés durant des mois sans pouvoir faire leur toilette du fait qu’il n’y avait pas d’eau à la douche. Concernant les cabines téléphoniques des blocs, beaucoup sont hors service. J’ai saisi le Juge des libertés concernant la violation de mon droit de communiquer. Mais le brigadier-chef en la personne de monsieur Jassume Pas* se permet de mentir au juge des libertés en affirmant que toutes les cabines des six blocs sont fonctionnelles alors qu’elles ne le sont pas. Je vous prie de venir constater l’état des cabines téléphoniques ce qui prive les retenus de leur seul moyen de communication avec leurs proches, les autorités consulaires, les avocats, Médecins Sans Frontières, le Défenseur des droits ou le CGLPL.
Les retenus sont également confrontés à signer des papiers en langue française sans que cela soit accompagné d’une traduction ou d’un interprète au sein du CRA 2 lors des décisions rendues par les diverses juridictions : le JLD, le tribunal administratif et la cour d’appel administrative, ainsi que les demandes d’asile, ce qui ne leur permet pas de comprendre les refus ou les verdicts afin de constituer réellement leur défense.
Enfin, concernant les visites, il y a quatre cabines prévues à cet effet, mais seule une reste ouverte, pour 30 minutes. Le CRA 2 englobe les personnes de la région Auvergne-Rhône-Alpes, c’est une région assez vaste. Les distances parcourues par certaines familles sont de 2 voir 3 heures de route rien que pour l’aller. Les 30 minutes sont insuffisantes. Cette restriction empêche les retenus de maintenir des liens familiaux essentiels pour leur bien-être émotionnel. Je vous exhorte, en tant que Contrôleur des lieux de privation de liberté, à prendre des mesures urgentes afin de remédier à ces conditions inhumaines. Veuillez agréer mes sincères salutations. »
Donc ça c’est la dernière lettre que j’a dû écrire au mois de novembre.
– Ok, bah tu t’es chauffé hein!
– Haha. Bah le problème c’est que ça fait 42 ans que je suis en France, j’ai fait toutes mes études en France, toute ma scolarité et tout… donc après, voilà quoi.
– Est-ce que du coup les flics ils savent que tu écris ces lettres-là ? Ça passe par eux ou ils savent pas ?
– Bah en fait si, ils voient que j’écris des lettres. Mais en sachant qu’ils nous interdisent les stylos. La semaine dernière ils m’ont pris mes quatre stylos. Donc voilà après il faut que j’arrive à retrouver des stylos, et là c’est vrai que ça fait depuis une semaine à peu près que j’ai pas de stylos pour ré-écrire.
– Et par exemple, à Forum Réfugiés c’est quelque chose qu’ils vous proposent, des stylos, des moments pour écrire ou des trucs comme ça ?
– Bah ils ont interdiction de nous fournir des stylos parce qu’ils disent que ça pourrait être une arme, être dangereux, mais pour moi c’est simplement pour pas qu’on écrive quoi.
– Tu peux utiliser des stylos là-bas ou même pas, ils veulent même pas faire ça ? Quand tu vas voir Forum ?
– Le problème c’est que nous on a accès pendant 1 heure à une zone qui s’appelle la « ZAC » et dans cette zone-là on a accès à Forum, on a accès à la bagagerie (ça veut dire que il y a nos habits, des choses comme ça), et le service médical, mais en 1 heure on peut pas écrire quoi que ce soit, parce qu’on est à peu près une vingtaine de retenus pour chaque bloc. Les personnes de Forum souvent sont [inaudible] mais vu que chacun a des problèmes administratifs, ça va être quoi, on va discuter 5 minutes, 10 minutes, et après quelqu’un va commencer à frapper à la porte et tout ça quoi. Donc non c’est pas là-bas qu’on peut se poser et qu’on peut écrire des lettres comme ça quoi.
– Et du coup pour un peu comprendre comment ça se passe la ZAC, c’est une heure pour chaque bloc ou une heure et tous les blocs sont ensemble ?
– Non, c’est une heure pour chaque bloc. Nous on va y aller de 14h à 15h après de 15h à 16h il y a un autre bloc, de 16h à 17h encore un autre et il y en a aussi le matin de 9h à 10h, et de 10h à 11h.
– Et donc du coup toi tu vois jamais les gens d’autres blocs ?
– Non, c’est vraiment rare très rare… Donc après j’ai écrit aussi une lettre où j’avais déposé plainte le 30 juillet auprès du Procureur de la République concernant les violences. Je peux te lire mon dépôt de plainte. J’avais écrit :
«
Madame Monsieur le Procureur de la République,
J’ai l’honneur d’attirer votre attention sur les faits suivants :
Le lundi 24 juillet lors de l’appel pour se rendre au réfectoire afin de prendre notre petit déjeuner, j’ai récupéré mon linge à la buanderie. Entre 7h20 et 7h35 j’engage une discussion concernant mon linge qui a été oublié dans la machine à laver deux jours auparavant. Sans aucune insulte de ma part, le policier aux frontières dont le RIO est le 116 1216 me frappe à plusieurs reprises sur mes cervicales. Dès lors le policier dont le RIO est le 134 7696 dit à plusieurs reprises “attention aux caméras”, et il cesse de me porter des coups. J’ai été menotté sans résistance. Des douleurs apparaissent.
Je suis transporté dans la salle d’isolement dépourvue de caméras. J’ai été fouillé et menacé par le policier 134 7696. J’ai demandé à plusieurs reprises à être consulté par le médecin ou des pompiers afin de constater les coups de poings reçus ainsi que les douleurs aux cervicales, aux épaules. Vers 8h30, sept policiers entrent dans la cellule afin de m’attacher les chevilles ainsi que les poignets au lit malgré les douleurs exprimées.
Vers 11h30, étant toujours attaché au lit, une personne se présentant en tant qu’infirmière et dont je n’ai pas pu voir le visage de fait que mon cou était bloqué à droite. L’infirmière n’est jamais parvenue à mon chevet dont le lit se trouve à 3 mètres de la porte, les caméras du couloir d’isolement le prouveront. J’ai réitéré auprès de l’infirmière ma demande de voir le docteur Bessedic ou des pompiers afin d’avoir une minerve que seul le médecin peut prescrire. Je lui ai dit avoir une douleur de 7/10 au niveau des cervicales jusqu’à l’épaule, que la position avec les bras écartés attachés au lit amplifiait ma douleur. Vers 13h30 j’ai demandé à pouvoir accéder aux toilettes. Après l’accord du responsable, je suis détaché. Je leur fais remarquer que je n’ai pas eu de repas ainsi que le petit-déjeuner du matin. Le sachet de repas avait été mis devant la porte à l’extérieur. Donc après avoir réglé mon repas j’ai été encore attaché au lit malgré mon insistance verbale qui exprimait ma douleur, les bras écartés. J’ai été attaché durant 8 heures jusqu’à ce qu’une sangle lâche, sinon je ne sais pas combien de temps aurait duré ce calvaire. J’ai subi 26 heures d’isolement jusqu’au mardi 25/07/2023 où j’ai réintégré le bloc 4.
Le mardi 25/07/2023 lors de l’accès à la ZAC et dans cette même zone je lui ai fait remarquer qu’il ne gardait pas son sang-froid et que heureusement qu’il n’est pas armé car une bavure de sa part aurait pu, peut-être, avoir lieu. Il me répond que me concernant il m’aurait tiré une balle dans le dos.
Le mercredi 26 juillet je suis transporté à l’hôpital pour une radio de l’abdomen alors que je lui fais remarquer que j’ai des douleurs aux épaules et aux cervicales. Il me montre l’ordonnance qui stipule une radio de l’abdomen, le médecin Bessedic m’a prescrit une ordonnance sans me consulter. Le radiologue après avoir consulté le service médical du CRA me dit qu’ils ne veulent pas changer l’ordonnance, que ce sera bien une ordonnance de l’abdomen, malgré que je leur dis que je n’ai rien avalé. Le jeudi 27 juillet, le docteur Bessedic me reçoit et je lui annonce mes douleurs aux épaules ainsi qu’aux cervicales. Il a prescrit une échographie de la zone.
En conséquence, par ses motifs, je désire porter plaindre contre ce policier pour violences physiques. Je précise que pratiquement toutes les zones sont couvertes de caméras de protection sauf la salle d’isolement. Je vous prie de considérer cette lettre comme un dépôt de plainte.
Dans l’attente des suites que vous donnerez à cette lettre, je vous prie d’agréer, Madame Monsieur le Procureur de la République, l’expression de ma haute considération.
Fait pour valoir ce que de droit. »
Donc ça c’est ce que j’avais écrit. Parce que, en fait, qu’est-ce qu’il se passe ici au CRA ? les médecins ils sont vraiment pas là pour nous écouter. Moi quand j’ai été attaché… Parce qu’il y avait d’autres personnes auparavant qui avaient été attachées, mais ils restaient attachés jour et nuit ! Et en fait l’après midi quand ils m’ont re-attaché, j’avais trop trop mal parce que j’avais aussi les pieds attachés avec une sangle de chaque côté. Et en fait en faisant des va-et-vient avec ma cheville gauche, je suis arrivé à desserrer la sangle. Je suis arrivé à desserrer la sangle et à partir de là moi si tu veux je leur ai dit comme quoi il y avait la capsule en métal… je leur ai fait simplement croire que je l’avais avalée mais c’était pour qu’en fait on me ramène au docteur et après au docteur je lui aurais dit la vérité. Je lui aurais dit : « Docteur en fait j’avais rien avalé du tout, c’est simplement que j’ai reçu des coups là, là, là, là ». Donc les policiers, eux ils ont falsifié contre moi. Ils ont mis comme quoi j’étais en garde-à-vue alors que je n’étais pas en garde-à-vue, j’étais bien à l’isolement. Et en mettant comme quoi j’étais en garde-à-vue, la garde-à-vue elle est en dehors du CRA donc pour le docteur je suis plus au CRA, je suis à l’extérieur du CRA. Donc ils ont menti par rapport à ça. Donc c’est pour ça, là, sur l’autre lettre que j’ai écrit au CGLPL, j’ai mis comme quoi le service médical en fait il est complice de tout ça parce que il fait pas son travail.
Après j’avais écrit une lettre à l’ordre des médecins mais je pense pas que je l’ai fait ressortir.
Sinon j’avais saisi plusieurs fois le Juge des Libertés concernant l’annulation du droit d’accès au téléphone. Mais vu que les responsables ici, les chefs et tout ça, ils mentent en disant comme quoi tout marche alors qu’il y avait des modules qui n’avaient même pas de combinés… Donc comment il peut ne pas y avoir de combinés et que ça marche même ? C’est pas possible…
– Bah oui, nous parfois on essaye d’appeler les cabines et la plupart elles répondent pas…
– Oui parce que en fait vous ça va sonner, mais ici ça sonnera pas.
– Parfois ça sonne même pas. Et dans le CRA 1, il y a plus de cabines aussi.
– Mais là encore l’autre jour vous avez eu de la chance, c’est parce que j’avais saisi le juge des libertés quand je suis rentré au CRA par rapport [aux cabines]. Parce-qu’en fait, l’OFII ne vendait plus de téléphone portable. Si tu veux je peux aussi te décrire la lettre que j’avais écrite au Juge des Libertés ?
– Ouais ! Parce que l’OFII vend des téléphones portables sans caméra c’est ça ?
– Oui tout à fait. Il y a une affiche que j’avais fait prendre en photo par Forum qui dit que depuis le 26 octobre ils ne peuvent plus vendre de téléphones portables du fait que la société ne fabriquait plus ce téléphone-là, ou quelque chose comme ça.
– Ah oui ok… ça coûtait combien les téléphones ?
– Alors ils coûtent 25 euros avec la carte SIM Lyca, et 10 euros de recharge. Mais ce qu’il se passe c’est que comme on peut pas enregistrer les cartes SIM, au bout d’un mois la carte SIM elle est morte quoi…
Là si tu veux je peux te lire ceci. C’était concernant l’annulation du droit d’accès au téléphone :
« Cher Monsieur le Juge des Libertés,
Par cette présente je tiens à vous signaler que lors de ma rétention à partir du 28 octobre, j’ai pris acte du rappel de mes droits concernant la mise à disposition des cabines téléphoniques en zone de rétention du bloc 7.
En effet à mon arrivée au bloc 7, où j’ai été affecté, il y a 2 postes téléphoniques, un dans le couloir ainsi qu’un autre dans la cour. Celui situé dans la cour est démuni du module d’écoute. Celui situé dans le couloir ne sonne pas lorsque ma famille appelle en composant le numéro suivant. Celui situé en zone commune, nous n’y avons pas accès.
Je tiens également à vous signaler qu’il n’est plus possible d’acheter de téléphone portable auprès de l’OFII.
Concernant mon téléphone personnel qui est muni d’une caméra, je n’ai eu le droit d’y accéder qu’une seule fois lors de l’accès à la ZAC de 14 à 15 heures, afin d’en extraire mes contacts, le dimanche 29 octobre pendant 30 minutes seulement et communiquer les numéros ci-dessus qui finalement ne marchent pas. Je n’ai pas le droit d’accéder à mon téléphone personnel qui est rangé dans le coffre-fort du CRA. Mon père est actuellement hospitalisé à l’hôpital de Saint-Etienne suite à des problèmes de santé. Celui-ci est âgé de 77 ans. J’ai besoin d’être en contact avec lui afin d’être informé de sa situation médicale à chaque instant. De ce fait, je ne peux être contacté ni contacter mes enfants, mes amis, l’avocat, ainsi que Médecins Sans Frontières pour mes problèmes cardiaques, le Défenseur des Droits et le CGLPL. Ma famille et mes amis doivent être inquiets de ne pas pouvoir me joindre. Je vous prie de constater mes dires concernant les postes défectueux, hors service.
Dans l’attente, je vous prie d’accepter Madame-Monsieur le Juge des Libertés, l’expression de mes sincères salutations. »
Par rapport à ça, les juges ils ont voulu me voir. Parce que c’est un droit en fait. Si tu veux je peux te dire ce que la juge a dit. Donc moi je les saisis, je leur explique que les deux cabines [ne fonctionnent pas]… Et ce qui s’est passé, c’est que moi j’avais écrit cette lettre, je l’avais passée à Forum. Et Forum, Julien, le chef, n’a pas fait passer ma lettre ni la photo qui disait que l’OFII ne vendait plus de téléphone portable. Alors que je leur avais donnée. Et Forum je sentais qu’en fait ils disaient : « non mais ça sert à rien de les saisir, on va téléphoner directement à la direction pour qu’ils réparent ». Je lui dis : « mais si maintenant tu saisis la direction et qu’ils les réparent ça sert à quoi que je saisisse le juge ? Ça va servir à rien du tout si demain ils les réparent ! ». Donc j’ai senti, après je lui ai dit comme quoi j’allais écrire à son supérieur par rapport à ça. Il a eu son supérieur qui lui a dit « non ben, saisissez le Juge des Libertés ». Il a saisi le juge des libertés sans mettre ma lettre et sans mettre la photo où l’OFII met comme quoi ils ne vendent plus de téléphones portables pour l’instant. Donc là, la juge a écrit :
« Monsieur a eu la parole en dernier, il explique que les cabines présentent d’importants dysfonctionnements, qu’il n’est pas possible d’acheter de téléphone portable auprès de l’OFII, qu’il n’a pu utiliser son téléphone personnel qu’une seule fois pendant 30 minutes pour son arrivée, celui-ci étant désormais rangé dans le coffre du Centre. Monsieur expose que les trois cabines mises à disposition dans le bloc où il est retenu ne sont pas opérationnelles, l’une étant démunie du module d’écoute, l’autre ne sonnant pas quand sa famille appelle ; à partir du 26 octobre, qu’il n’y a plus de vente de téléphone par l’OFII en raison d’un épuisement des stocks, et qu’après son arrivée au centre il n’a pu accéder qu’une seule fois à son téléphone personnel le 29 octobre.
La somme de ces difficultés fait selon lui obstacle à l’exercice de son droit de communiquer avec les personnes de son choix, une telle violation lui faisant nécessairement grief, ce d’autant qu’il a besoin d’entrer en contact avec sa famille pour avoir des nouvelles de son père, malade, et de ses enfants, mais aussi de prendre contact avec d’autres intervenants pour le suivi de sa situation médicale et administrative.
Si Monsieur justifie par le biais d’une photographie non contestée par l’autorité administrative que l’OFII n’est plus en mesure de vendre des téléphones aux retenus faute de marchandises téléphoniques, force est en revanche de constater qu’il n’apporte pas la preuve des dysfonctionnements qu’il invoque concernant les deux cabines téléphoniques publiques installées dans le bloc où il est placé. Le courrier qu’il communique sur ce point est en effet dépourvu de toute valeur probante s’agissant d’un écrit dont il est lui-même l’auteur. Or, en première instance, à la demande du conseil de l’autorité administrative, le CREP du centre de rétention administratif au sein duquel monsieur est placé, pris en la personne de Jassume Pas*, brigadier-chef, a envoyé un courriel au greffe le 7 novembre à 8h42 au terme duquel il certifie que tous les téléphones des zones de vie du centre de rétention administratif sont à ce jour fonctionnels, et précise qu’au jour de la requête de Monsieur, soit le 4 novembre, ils étaient également en état de marche. (Là c’était un très gros mensonge.) Il ajoute encore que les retenus ont accès à ces téléphones et peuvent aussi, à leur demande, avoir la possibilité de consulter leur propre smartphone pour récupérer des contacts si besoin en bagagerie. Il s’avère, de ce message électronique, que les deux téléphones publics libres d’accès dans les zones de vie du bloc 7 du centre de rétention où il est placé, doivent être considérées comme en état de fonctionnement à défaut d’éléments contraires.
Il est, certes, indéniable que l’impossibilité temporaire de pouvoir acheter des téléphones auprès de l’OFII a pour effet de restreindre l’accès de Monsieur aux moyens de communication permettant d’entrer en contact avec toute personne de son choix, et pour autant Monsieur ne démontre pas se trouver dans l’impossibilité de téléphoner à ses proches et donc d’exercer le droit de communiquer consacré par l’article R744-16 du CESEDA, eu égard à la présence de deux cabines précitées et à la faculté de demander à consulter son téléphone personnel. En l’état, il est faux de considérer que l’exigeant est en incapacité d’exercice du droit de communiquer, qui est respecté, ce qui conduit par confirmation de l’ordonnance de référé au rejet de la demande de main levée formée par Monsieur. »
Donc en fait pour eux, il aurait fallu que je prenne en photo la cabine, pour leur faire voir qu’elle ne peut pas marcher si il y a pas de module. L’avocat du préfet, il s’est levé deux secondes, il a dit « Monsieur il parle mais il n’apporte pas de preuves ». Et il s’est rassis.
– Parce que tu étais à une audience, tu vas vu le JLD exprès pour ça ?
– Oui, parce que j’avais fait appel. Là ce que je t’ai lu c’est quand j’ai fait appel de ça. En gros ils disent que c’est au requérant de ramener la preuve. Et moi je leur avais dit en première instance : « comment vous voulez que je ramène la preuve si j’ai pas de téléphone avec appareil photo ? ». Et la juge c’est pas elle qui va se déplacer pour constater ça, d’autant plus que le brigadier-chef a fait un rapport en disant que toutes les cabines de tous les blocs marchaient, alors que c’est vraiment un mensonge.
– Je sais, on essaie d’appeler souvent et ça marche pas. Et je sais qu’il y a la CIMADE aussi qui voulait faire un communiqué dessus, je sais pas où ça en est.
– Là ils ont remis des téléphones en vente il y a à peu près une semaine. Mais bon après la plupart des retenus ils ont pas beaucoup d’argent, des choses comme ça.
– Nous on avait parlé avec quelqu’un de la CIMADE qui nous avait expliqué que le commandant de police du CRA lui avait fait faire une visite du CRA et qu’il avait constaté que les cabines ne marchaient pas, et qu’ils voulaient faire un communiqué public là-dessus.
– Après ça dépend quand est-ce qu’ils sont venus… Moi je suis rentré le 28 octobre. Mais après j’étais là aussi cet été, toutes les cabines ne marchaient pas. À chaque fois qu’ils m’ont ramené dans un bloc j’ai toujours saisi le Juge des libertés par rapport à ce droit. La première fois, cet été, l’avocate du préfet a dit comme quoi j’étais entré avec une somme d’argent assez conséquente et que je pouvais acheter un téléphone portable si j’avais vraiment besoin de téléphoner. Et voilà. Mais sinon… En fait la plupart des retenus ils pourraient sortir s’ils connaissaient ce droit-là.
*Nom modifié par nos soins à la demande de l’intéressé.